arts de la piste
2 janvier 2000

Cirque Plume-Mélanges
un ange SDF

Mike Sens

L’arrivée d’un ange clownesque, qui pose un regard sans jamais critiquer, suscite un réel espoir. Que l’on soit enfant, avide de rêves, ou adulte, désireux de dégager la crasse de son rétroviseur crânien, le cirque Plume réussit le pari d’être grand public (300 000 spectateurs par création), mais pas au détriment de la qualité artistique. MELANGES accentue La nature hybride de la démarche des "Plume", qui préfèrent largement la dialectique d’un faux lapin qui fume au rituel ancestral du dompteur de fauves. Munis d’ailes d’ange et d’une bonne dose d’audace, ils descendent dans l’arène en jouant avec les valeurs de l’héritage et de la continuation. Ce sont plutôt Fellini et Chagall qui constituent leurs sources d’inspiration, que La réalité du cirque traditionnel.

À une exception près : La notion du temps immédiat. Ils ne sont pas dans le narratif. Ils ne racontent pas une histoire. Mais des histoires. Le temps est parfois fictif, mais la plupart du temps c’est le temps réel du trapéziste ou d’une plume qui descend doucement des cintres pour créer un lien avec un autre numéro. Le morcellement d’intrigues et les éclats de trouvailles visuelles forment une dramaturgie universelle, puisque non fondée sur la parole qui ne sème que le trouble de toute façon. S’adresser au public, ou donner a voir au public, telle est la question. Malgré une poésie de situation subtile, le cirque Plume reste une affaire d’exploits, de représentation physique, qui nous confirme que nous sommes bien au cirque, et non dans un théâtre hors des murs. Leur Opéra plume excelle dans l’art de la transition. Comment passer d’un numéro de cirque a un autre, ce temps suspendu, cet entre-deux, est pour le cirque Plume le moment le plus imaginatif. Jouer de la guitare électrique sur un trampoline monter sur une échelle faite d’ombres chinoises un jongleur avec des pinces à linge aux oreilles un ange sur des patins a roulettes ramener quelqu’un a la vie en sifflant comme un hibou ; un musicien qui s’envole sur une contrebasse, une concierge qui boit un ballon de rouge créé par une poursuite ; des claquettes sur une corde ; symphonie de portables - un kaléidoscope de petits moments magiques se greffe dans la mémoire du spectateur. Dans la nature, comme dans l’art les zones les plus riches sont les zones de rencontre ; là où deux écosystèmes se touchent. Le respect de la diversité s’impose. Monsieur Loyal new-look est un gérant humaniste qui se permet de faire des choses de l’ordre du sensible : "Ce soir, pendant le spectacle, je pensais a la Yougoslavie en coulisse". Mais après Mad Max et les tronçonneuses, le temps lui donne raison. La domination de l’homme sur l’animal, l’exaltation du courage, de la force et de la jeunesse - ce sont des valeurs presque totalitaires qui ont donné naissance au cirque, n’est-ce pas ? Dans le contexte actuel des arts de la piste, une plume devient alors une métaphore lourde de sens, capable de divertir autant qu’une ribambelle d’éléphants.