Libération
30 novembre 1996

Le Cirque Plume fait le poids

Marc Laumônier

Cirque Plume, La Villette. Tél. 01.40.03.75.75 : jeu-sam 20h30 dim 15h : jusqu’au 29 décembre.

Ils déboulent en file indienne, une lampe de mineur au front, la démarche pataude, comme embarrassés par leurs imposants instruments de musique. Et survient, dans la grâce d’une envolée de trapèze, une ravissante contorsionniste qui perturbe et fascine cette virile harmonie.

Pour les spectateurs –petits ou grands- avides de sensations, c’est le début d’un formidable voyage. On sort étourdi par l’avalanche d’images de la dernière création du Cirque Plume, et ragaillardi devant un tel déballage d’originalité. La griffe acérée du maître d’œuvre, Bernard Kudlak, est là, plus inventive que jamais, ménageant l’émotion dans une succession de tableaux qui vont crescendo. C’est qu’en douze ans, le Cirque Plume a fait du chemin. Originaire de Besançon, le jongleur Bernard Kudlak prend la route en fanfare par un beau jour de 1984, entraînant dans son sillage de joyeux drilles, acrobates et trapézistes... En quatre spectacles seulement, joués jusqu’à plus soif –leur précédent, Toiles (1993), a ravi 265000 spectateurs au cours de 350 représentations -, le Cirque Plume s’est taillé une solide réputation en France comme en Europe.

On le retrouve ces temps-ci à La Villette –passage obligé des amateurs du genre- avec de nouvelles têtes, pour L’harmonie est-elle municipale ?, dernière création en date qui joue sur la dualité des sexes, entre attirance et échange de rôles.

Le fil conducteur, assez lâche, permet de faire un grand écart entre des numéros toujours désopilants et variés. Parmi les plus renversants, signalons Jacques Schneider, cycliste déjanté de son état : barbe fournie, tignasse ébouriffée, yeux exorbités, c’est un mutant monté sur deux roues ; il dribble, shoote, escalade ou jongle avec désinvolture. Le clou, qui déchaîne l’enthousiasme, c’est son show au trampoline.

A Paris, la troupe de Bernard Kudlak réussit un étonnant mélange entre illusion et comédie, cirque et théâtre.

Dans un autre registre, la Britannique Rachel Ponsonby vaut également le détour, femme-orchestre qui dépote avec brio un morceau de flûte, deux instrument en bouche, autant dans le nez, tandis qu’elle bat la mesure avec les genoux.

Courir sur les mains, rouler sur la tête d’un bout à l’autre du plateau, tenir en équilibre sur un doigt constituent d’autres facettes du talent éprouvé des artistes, tous également musiciens exécutant une partition signée Robert Miny, compositeur attitré de la compagnie.

Cependant, le spectacle ne se réduit ni à l’exploit sportif ni au travail subtil de l’illusion. Transformations, métamorphoses, jeux d’ombres et de lumière, quatrième dimension, les effets de surprise sont certes garantis.

Mais la palette des arts du cirque s’élargit, à la marionnette notamment, au cours d’un duel avec la fildefériste Brigitte Sepaser. Surtout, l’unité du propos, le ton de plus en plus affirmé de la comédie, la multiplication des saynètes et des clins d’œil confirment la volonté de faire valser les étiquettes. Arrivé à maturité, le Cirque plume, qui connaît un succès croissant, n’a pas fini de faire parler de lui.