La Vie
23 décembre 1999

Le Cirque Plume vous offre ses bulles

Claire Moreau-Shirbon

"On voulait poétiser la vie quotidienne…"
Pari gagné ! au cirque Plume volent de drôles d’anges à dos de contrebasse jouant du rock sur des bouzoukis.
Heu… Enfin… Le mieux, c’est d’aller les voir.

Pour être un ange, pas besoin d’étiquette ! Un PDG ou un clodo peut être un ange. Bonaventure Gacon sait de quoi il parle. Ange, c’est son métier Le gaillard est baraqué, barbu, chevelu, roux. Et ange. " C’est très bien qu’un ange ne soit pas forcément gentil ou complaisant. il est bourru, casse-gueule, borné, quelquefois violent, même ! Il ne sait pas ce qu’il fait là, mais il fait son métier malgré tout : ramasser les gens, les secourir ; démêler les conflits, favoriser les amours ! " Bonaventure omet de dire ses exploits d’acrobate, sa capacité à voler, ses hilarantes poursuites sur patins à roulettes, pleines de chutes, ses incroyables prouesses sur trampoline ! Son rôle d’ange improbable lui va comme un gant ; il faut avoir soutenu le regard bleu de ce grand gars pour savoir ce que regarder un ange droit dans les yeux veut dire. Fréquenter le cirque Plume amène à toutes les rencontres possibles. Un ange, après tout, passe encore, mais une Petite Perfection, vous savez à quoi ça ressemble, vous ? À une petite bonne femme grimaçante et mal embouchée, surdouée de l’embrouille malveillante mais surtout de l’acrobatie sur drap ou sur vélo, une de ces artistes qui vous font goûter la saveur de la grâce absolue. L’authenticité de ces deux-là, leur génie artistique et leur épaisseur humaine les rattachent tout naturellement à la tribu des Plume, ces merveilleux fous qui ont, en quinze ans, entraîné vers leurs chapiteaux successifs des foules chaque fois plus nombreuses, ces rêveurs têtus qui ont su faire rimer cirque avec humour et utopie avec légèreté ! "On voulait empoigner la vie, la contrôler nous-mêmes. Et, avant tout, poétiser la vie quotidienne, la rendre belle, éveillée."
Bernard Kudlak n’a rien perdu de son accent bisontin ; il a quelques cheveux en moins et deux filles en plus mais toujours autant d’exigence et d’utopies qu’à 20 ans. Avec son frère Pierre et six autres compères il est le noyau dur de l’aventure Plume. De l’amitié, des espoirs, des tentatives de vie alternative, des petits boulots de l’artisanat ou du social ont émaillé la vie de chacun mais c’est avec une fanfare que la bande issue de Besançon ou de Salins-les-Bains a commencé à réinventer la vie.

"Dans mon milieu, raconte Jean-Marie Jacquet, la musique, ça ne sert a rien, les musiciens sont des ZOZOS ! La première fois que notre fanfare a joué pour un public c’était sur le parvis de la cathédrale de Strasbourg. Je n’oublierai jamais le trac inouï que j’avais ce jour-là ! " Puis sont venus les spectacles de rue, l’apprentissage de la comédie. C’est grâce à un curé de campagne que Jean-Marie a découvert la musique rock. Avant il était plutôt Joe Dassin et bals du samedi soir " L’abbé Vasselet, de Salins, lui était curieux de tout. Il avait des disques de Jimi Hendrix, de Santana et faisait circuler ses trouvailles parmi les jeunes. " Les Plume au tout début ont joué des airs connus. Mais, très vite le maestro Robert Miny un des quadras fondateurs a créé des partitions sur mesure : il signe des œuvres jouées sur verres à pied, sur gouttières en PVC, sur violon, accordéon, bouzouki, flûte, ou encore sur des soufflets magiques, plus oniriques que le plus fou des rêves. Créateurs d’images décalées, metteurs en scène de songes éveillés, acrobates experts en illusions, poètes du bouchon de bouteille ou du soubassophone, les Plume se sont accrochés à leurs idéaux de justice et de beauté, de rapports humains intelligents.
Leurs spectacles se sont succédé, toujours plus poétiques et réussis. Avec toujours plus d’âme, sans animal et sans paillettes. Le dernier s’appelle Mélanges opéra Plume. Lyrique et rock Superbe. Leur premier chapiteau en 1984, prenait l’eau, et il s’est écroulé. Les spectateurs de Plume ont l’humour qu’il faut : ils ont cru à une blague, ont tout reconstruit avec des planches… et le spectacle a continué. Le deuxième chapiteau abritait 250 personnes. Celui d’aujourd’hui rassemble 1000 âmes devant une immense scène. Il est le seul au monde à avoir une coupole excentrée, selon le dessin de Jean-Marie, désormais directeur technique de la société Plume, qui emploie 42 personnes. À 45 ans Jean-Marie n’a pas pour autant pris de rides sur le front. Le magicien, dans Mélanges, c’est lui. Et comme l’ange, il vole lui aussi Mais sur une contrebasse.