Le Monde
9 février 1997

Les chimères légères, voluptueuses et détournées du Cirque Plume

Brigitte Salino

La troupe de Besançon donne " L’harmonie est-elle municipale ? " sous le chapiteau de La Villette, à Paris. Elle poursuit sa quête du bonheur avec grâce, humour, poésie et amour

L’HARMONIE EST-ELLE MUNICIPALE ? Mise en scène : Bernard Kudlak. Musique : Robert Miny. Avec Jane Allan, Alexandre Demay, Valérie Dubourg, Michèle Faivre, Valérie Garçon, Jean-Marie Jacquet, Bernard Kudiak, Pierre Kudlak, Alain Mallet, Rachel Ponsondy, Jacques Schneider et Brigitte Sepaser. PARC DE LA VILLETTE, 211, avenue Jean-Jaurès, 19c. Mo Porte-de-la-Villette. Tél. : 0140-03-75-75. jeudi, vendredi et samedi à 20 h 30, dimanche à 16 heures. 140 F. Durée : 1h 40. Jusqu’au 16 mars.

Leur premier spectacle s’appelait En route pour le bonheur. C’était en 1983, à Besançon. Sous un chapiteau de fortune, neuf garçons et filles donnaient naissance à ce qui, au printemps 1984, devenait officiellement le cirque Plume. Quatorze ans et quelques tours d’Europe plus tard, les neuf sont devenus treize et présentent, sous un chapiteau de mille places, L’harmonie est-elle municipale ? Le temps n’a rien changé à leur histoire : c’est de la quête du bonheur, toujours, qu’ils entendent parler.

Cette fois, il y a six hommes et six femmes. Les hommes composent l’harmonie, les femmes sont des chipies. Habillées de couleurs vives, comme des Gitanes, l’insolence vrillée au corps, l’érotisme à fleur de regard, elles semblent bien décidées à en découdre avec l’équipe adverse, qui masque ses ruses derrière une balourdise masculine de bon aloi. Voilà pour la trame, dont le spectacle se joue allègrement. Au cirque Plume, tout est léger, aérien, à l’image des grands voiles du décor. Tout vole, s’envole - même le vélo saute sur le trampoline. Tout fait musique - scie, basse à vent, tubophone, bouzouki... jusqu’aux doigts d’une femme qui se transforment en sifflets. Tout devient magie - les jeux d’ombres derrière les voiles, les évolutions splendides d’une fille sur une bouche de lumière.

Une chanteuse souffle doucement avec sa bouche pour faire éteindre la lumière. La fildefériste fend l’air pour étreindre un amour. Un lapin sorti d’un chapeau applaudit de ses deux pattes. Des mains jouent seules sur le clavier du piano. Où est le cirque ? Nulle part, partout. Il n’y a pas de piste mais une scène où le cirque se rêve. Trapèze, sauts, équilibre, acrobatie..., toutes les chimères après quoi courent les gens du voyage sont déclinées. Seulement, les " Plume " les détournent : la grâce prend le pas sur la contorsion, la poésie jaillit des yeux blancs du plus fou de la bande, Jacques Schneider, l’humour détrône la performance, et, surtout, l’amour est là, beau comme une chanson, fort comme une harmonie, infiniment enfantin.

Quand approche la fin du spectacle, une femme et un homme, nus, se tiennent côte à côte. Le sexe de l’homme est caché entre ses cuisses. La femme prend un arrosoir, verse de l’eau. Le sexe apparaît, deux sourires naissent sur les visages. Et tout se termine par un baiser, avec un air de fanfare pour fêter le grand bonheur d’un soir.