Un entretien avec Bernard Kudlak
Par Vincent Raymond, dans la Tribune de Lyon (14 décembre 2006)

Fondateur et auteur principal des huit créations du Cirque Plume, Bernard Kudlak défend l’indépendance de son ensemble, ainsi que son rôle social, en citant volontiers Jean Vilar. Le cirque Plume présente Plic Ploc, à Lyon, jusqu’au 23 décembre.

Avant la représentation de vendredi dernier, il pleuvait à seaux sur Lyon. Comme si la météo voulait préparer le public à votre spectacle...
Bernard Kudlak : Ça, c’est chouette ! Ça nous est arrivé quelquefois avec notre chapiteau, notamment le lendemain de la création de Plic Ploc : il pleuvait à verse ; les gens arrivaient et sortaient sous des torrents d’eau. Un de mes amis, rentré chez lui, s’est couché en oubliant de fermer son Velux... ce qui fait que le spectacle a continué dans son appartement jusqu’au milieu de la nuit ! Il m’a appelé le lendemain en me disant "Maintenant, tes spectacles, tu les arrêtes pour de bon à la fin, hein !"(rires).

Comment la troupe s’est-elle renouvelée depuis sa création en 1984 ?
Quand j’écris un spectacle, il y a un changement de l’équipe variable, allant du quart à la moitié de l’effectif. Beaucoup d’artistes font un, deux ou trois spectacles avec nous - c’est le cas de Sylvaine, la contorsionniste. Actuellement, il y a encore trois des fondateurs qui jouent dans Plic Ploc, ainsi que des piliers comme le bassiste et le guitariste. Ces cinq personnes constituent un peu la base. Et puis, je reçois beaucoup de propositions d’artistes qui souhaitent travailler avec nous. Par ailleurs, quand on a des besoins particuliers, on fait des auditions pendant le temps de la création. Car une audition au cirque Plume, c’est toujours une journée de travail par artiste : ça nous permet de nous connaître, tout le monde se met en danger (les artistes comme ceux qui passent l’audition). Ami, on est tous au même niveau.

Le cirque Plume a la particularité de s’autofinancer à 82 %, ce qui est énorme.
C’est notre liberté, notre fierté et, à mon avis, la solution réelle pour l’avenir du spectacle vivant. Mais on ne peut s’autofinancer que parce que l’on joue beaucoup et que l’on s’est fabriqué un "vrai" public, fidèle, au cours de nos vingt ans d’existence. On ne dépend pas des tutelles ni de "la puissance administrative" (rires). On a notre autonomie, et on fait notre travail... Si on avait un peu plus d’argent public, on ferait exactement la même chose artistiquement, sauf que l’on jouerait davantage sous chapiteau. Plic Ploc ! nécessite cependant d’être joué l’hiver en théâtre - les conditions seraient autrement trop difficiles pour les artistes.

Bien que vos créations soient accessibles à tous, vous refusez de "cibler" un public précis.
Depuis quinze ans, on a eu l’immense chance de pouvoir monter des spectacles sans être obligés d’en faire pour des entreprises ou pour des collèges. Je trouve qu’il y a quelque chose d’un peu stupide dans les représentations scolaires. Parce que tout ce qui est homogène est stupide. Une société homogène, un public exclusivement de vieux ou de lycéens, c’est stupide. Prenez le calcul statistique : pour avoir quelque chose de vrai, il faut un échantillon représentatif choisi par hasard. Un public, c’est pareil. Les gens viennent par hasard, ils achètent un par un leur place... Le spectacle vivant, c’est la vie ; il faut faire venir des gens de tous horizons, pour qu’ils puissent partager des valeurs communes. Et nous, on est là pour les faire se rencontrer. Comme des hussards noirs de la République (rires).