Libération
24 juin 2009

Plume sur toile

Plume sur toile | Libération (presse_adp) {JPEG}

A Montpellier, la troupe crée un spectacle axé sur la peinture. Complexe et abouti.

Voilà une discipline qu’il n’avait pas encore mêlé à son cirque : Plume s’attaque à la peinture. La troupe, qui fête son quart de siècle, présente depuis lundi son dernier-né au public montpelliérain du 23e Printemps des comédiens.
L’épopée commence sur une scène que meublent une toile retournée et un tableau : Les Ménines, de Vélasquez. "A cause du texte que Foucault lui a consacré", précise Bernard Kudlak, metteur en scène, qui développe : "Accueillir le public avec cette œuvre, c’est une façon de dire : "Ce qu’on montre sur scène, c’est vous. Vélasquez n’est-il pas en train de vous peindre ?"
Illuminé, le visage de l’infante semble veiller sur les mille spectateurs qui occupent les gradins du Cirque Plume. Le calme avant la tempête. Bernard Kudlak conçoit l’Atelier du peintre comme "un voyage dans l’imaginaire de l’artiste". Artiste peintre en l’occurrence, mais aussi sculpteur, tous deux partageant l’obsession de donner vie à l’œuvre.

Sangles. Sous le chapiteau jaune, s’éveille la Venus au miroir de Vélasquez et s’anime la statue d’Apollon. Les Plumes, tantôt artistes, tantôt modèles, se succèdent dans des tableaux profondément mélancoliques, ou irrésistiblement drôles. Au-delà de son atelier, le public se retrouve invité dans l’esprit même du peintre. Ainsi passe-t-on de l’oisiveté, source d’inspiration, à l’ivresse et la souffrance, dans un numéro de sangles aériennes d’Antoine Nicaud à couper le souffle. Car pour celui qui écrit et met en scène les spectacles du Cirque Plume depuis ses débuts, "si la souffrance n’est pas indispensable au processus de création, quelque chose de l’ordre du manque l’est". C’est ce manque, cette envie irrésistible de peinture, qui lui a fait rompre son vœu de ne jamais tomber dedans "de peur de ne jamais pouvoir en sortir".
Peindre ou faire du "spectacle vivant", Bernard Kudlak n’a pas choisi. Et il a bien fait : pour le plaisir des sens, il réunit les arts au sommet, toujours sur une onirique bande-son originale de Robert Miny. "Fondamentalement, le cirque rend possible cette union, dans son rapport à l’immédiateté, et finalement, leur nature commune : l’émotion", précise Kudlak.

Pétales. Mystique Chelsea O’Brian suspendue à son "cerf-volant", enfantine Laura Smith évoluant sur son trampoline tel un papillon au milieu de pétales rouges, impressionnante Kristina Dniprenko sur sa roue allemande, clowns et jongleurs : le cirque fraternise avec la danse, le jeu, la musique et la poésie. Tout ce qui participe à la marque de fabrique de Plume, la beauté plastique exacerbée.

"Peut-être le spectacle le plus complexe à concevoir ", l’Atelier du peintre permet à Plume de franchir encore une étape vers l’inconnu. "On va où ? Telle est la question".

Aurélia Hillaire