Qu’est-ce qu’un spectacle du Cirque Plume ?



Le spectacle de cirque est un spectacle vivant.
Le spectacle du Cirque Plume est fait par des vivants pour des vivants ;
Il est joyeux, coloré, profond, poétique, sale, brouillon, précis, il est comme la vie.
Il se nourrit d’un échange entre une bande d’humains debout sur des planches, en vol sur des cordes, en sauts périlleux sur des vélos, en souffle sur des rayons de lumière, en invention sur des musiques, en équilibre sur des plumes, et une autre bande d’humains assis sur des planches, debout dans leur tête, en vol dans leur cœur, en souffle avec d’autres, en invention sur des images, en équilibre sur un frêle poème qui surgit du fond des temps depuis que des primates à pouces opposables se réunissent en cercle pour chanter jouer danser dire montrer leur stupéfaction d’être et essayer de comprendre une étincelle de ce mystère.
Notre spécificité c’est la fragilité, l’échange, et ce désir du fond des temps, cette nostalgie d’idéal disait Andreï Tarkovski.
Le cirque est un poème en acte. À partager.

La boîte noire

"Ah bon vous n’avez pas de piste ?" Mille fois cette question à propos de notre espace scénique frontal. Surprise de voir un spectacle de cirque sous chapiteau utilisant cet espace théâtral (qui est aussi celui du music-hall) : la boîte noire.
La piste elle, est cet espace scénique circulaire de 13 m de diamètre créé par le besoin technique de la distance nécessaire entre un cheval et l’homme qui le fait tourner en rond. Autour de cette piste, le public est installé en cercle. Cette configuration est la plus rationnelle pour avoir le plus possible de spectateurs assis dans un espace donné. C’est le plus ergonomique.
L’espace frontal dans un chapiteau est une erreur économique. La boîte noire est une solution artistique ruineuse, mais si généreuse.
"Boîte noire" : ces mots évoquent pour moi, un carton dont le couvercle est recouvert d’un linge de vaisselle à liserés rouges, au fond duquel tourne en rond une araignée capturée et détenue là, que l’on surveille de temps en temps avec un frisson de plaisir et de peur.
La boîte noire au théâtre, au cirque, au music-hall, à l’opéra, contrairement à son nom, est une boîte de lumière, une boîte à lumière.
Le noir de la boîte noire est le noir qui révèle. Noir velours des rideaux de scène, noir fait pour créer l’oubli du noir.
Noir absence, indispensable à la présence, comme l’air que l’on respire sans y penser l’est à la vie.
La boîte noire est une boîte blanche, rouge, ambre, carmin, bleu azur ou outre mer, violet violine, dans tous les sens possibles qu’inventera la lumière.
Boîte à lumière, boîte à montrer, boîte à magie, boîte à illusion, boîte à joie, à bonheur, à plaisir, à vie pour les spectateurs et les acteurs du cirque.
Tant de "boîtes" possibles et cependant, aussi vrai qu’elles ne sont pas noires, elles ne sont pas non plus des boîtes. Absence aussi d’enfermement.


La boîte, comme le noir n’est qu’un état technique permettant de l’oublier.
L’espace devient infini, infiniment petit ou infiniment grand, l’espace n’est pas celui d’une boîte, d’une paire de rideaux de velours, mais celui sans limite de l’imaginaire des propositions spectaculaires.
Nous avons choisi cet espace pour la lecture qu’il offre, pour les possibilités d’illusion qu’il propose, pour le regard de l’artiste vers chacun des spectateurs, pour le sens des entrées et des sorties. Pour le jardin et la cour. Pour la possibilité des lumières, des clairs obscurs découpant les corps pour des spectateurs qui les voient tous du même angle de vue. Ou presque.
Nous avons choisi cet espace scénique parce que nous travaillons les ombres et les ombres se découpent plus simplement sur un fond de scène ou sur un voile de soie.
Nous avons choisi cet espace car il rend possible un orchestre sonorisé en mouvement sur la scène. Cet espace permet de travailler les retours son en tous points, ce qui, dans un espace circulaire, est quasiment impossible.
Nous l’avons choisi aussi pour des effets de grandes illusions dans la tradition du music-hall.
Du point de vue du spectateur, cet espace se lit de face, comme un livre, comme un tableau, comme un film, comme une affiche. Nous avons intégré profondément ces codes de lecture et ce que nous y lisons est conditionné par ces codes.
Du fait de ces codes, l’utilisation d’un espace frontal réduit la distance entre le temps du théâtre (celui de la narration) et le temps du cirque (le temps immédiat) : il modifie quelque peu le jeu et les possibilités de jeu des artistes.

En tout cela, la boîte noire nous offre une liberté plus grande qu’une piste pour créer l’univers poétique, musical particulier au Cirque Plume.

Bernard Kudlak