Sécurités sociales (extrait n°24 du 3 décembre 2003) par Bernard Kudlak

Le 24 octobre 2003.
Les répètes ça marche super : je ne sais pas si on sortira un spectacle génial (j’espère, quesse tu crois !) mais l’atmosphère de travail est au beau fixe et le boulot avance au pas d’un bœuf de plaine grasse, au labour, dans un livre de Giono.
L’équipe est formidable et je n’ai presque pas mal au dos. Personne ne rouspète quand, dans l’eau froide presque tiède, ils se raidissent, les muscles éprouvés déjà par quelques tentatives acrobatiques. C’était pas exprès, le lendemain elle était chaude. Et les muscles noués. Mais pas tous.
Aujourd’hui je les voyais sauter à la bascule. C’est impressionnant, surtout le bruit. Moi qui suis émotif j’en ai pour deux à trois ans à flipper chaque soir, comme avec notre homme des bois, Jacques Schneider, au moment de son saut périlleux à vélo sur trampoline, dans nos spectacles "L’harmonie est-elle municipale ?" et "Mélanges (opéra plume)".

En parlant de sécurité et de risques, ma compagne a eu quelques soucis d’acrobate consécutifs à la pratique de la danse sur fil et son corollaire épisodique, la chute. Et donc la sécurité sociale dut accepter de rembourser un certain nombre de soins pour rafistoler quelques tendons, os, muscles ou fascias un peu endommagés (je ne détaillerai pas ici.)
Mais tout a une fin, même les emmerdements de santé. Aussi, ce qui est pratique avec la sécurité sociale, dite "chère caisse", dite "la Sécu", c’est qu’elle nous informe officiellement de la chose.
En effet, Brigitte vient de recevoir une lettre de notre chère caisse :
"Objet : Décision de guérison - accident du travail du 10 septembre 2002.
Mademoiselle,
Je vous informe que le médecin conseil fixe la guérison de vos lésions à la date du 31 août 2003 (application de l’article R 433617 du code de la sécurité sociale)."
Comme ça, on est prévenu (comme à la santé).

Je n’ai même pas parlé d’Halloween, je ne suis pas si énervé !
Bon la suite.

Vendredi 31 octobre 2003.
Des fois (et moi aussi…), on aime bien savoir quand les choses vont de travers, histoire de ne pas se sentir trop seul. Dites pas non, je vous connais.
Alors, hier soir, on a frotté un peu sur les histoires techniques. Déjà, je l’ai dit mais je le répète : nous avons besoin d’un lieu pour notre travail. Un lieu fixe et bien équipé. Par exemple, avec un gril facile pour les créations, sur lequel on marche et on peut essayer plein de choses. C’est un exemple…
Donc hier, je croyais que les systèmes d’eau étaient presque en place et qu’il n’y avait plus qu’à fixer les jours de répètes des moments utilisant la pluie ou les jets du sol. Que nenni ! Rien, ou rien de mis en place, en tout cas. Ça se passe comment ? C’est moi qui dois chaque fois vérifier que c’est fait ? Ou l’équipe technique qui devance les besoins ? Attends, tu vois pas tout le boulot qu’on a !!! Et le gril ? Oh lala lalalala pas facile, parce qu’on bricole en attendant du définitif qu’on ne peut imaginer qu’en bricolant. Mais quand tu mets des vergues à tort et à travers l’espace, c’est vite plein. Et donc pour la pluie ? T’es marrant toi, où tu veux que je puisse le mettre, j’ai pas d’accroche. D’accord, ben, mets les jets. Les jets ? Oh t’affole pas, tu crois que le matos il vient tout seul comme ça ? Non, on fait des essais et on vient juste de trouver un truc !! Ok, mais… pour demain ? Pour demain !?! C’est pas possible ! Attends, c’est pour quand ??!
Bref, il a fallu qu’on discute et qu’on se comprenne. Quand on discute, on se comprend. Et cet après midi, ils auront installé un système de jets un peu provisoire, mais plutôt moins provisoire qu’en mars. Et nous avons convenu que ces quatre semaines de répètes en cours nous permettraient de concevoir le matériel qui pourra être effectif et efficace pour le début de la réalisation en février.
Tout ça après une bonne journée fertile de boulot. Je suis rentré claqué.

Lundi 2 novembre.
Après la visite. Médicale du travail. Obligatoire. La visite, pas le travail.
Ils sont sympas, à la médecine du travail, je dis "ils" je devrais dire "elles", car il n’y a que des femmes, c’est sympa ! Sauf qu’à Besançon, la direction a décidé de ne plus visiter les intermittents : qu’ils aillent se faire médeciner du travail ailleurs, les travailleurs du spectacle. J’ai laissé un petit mot au directeur pour demander des explications de cette curieuse décision. D’autant que des médecins (médecines en fait !) du travail sont d’accord pour les recevoir.
A part ça, je suis apte.

Dimanche 9 novembre.
Hier, dans la nuit, éclipse totale de lune. C’est émouvant, l’ombre de la terre sur la pleine lune, on se sent tout de suite très petit, et la terre aussi qui s’amuse avec la lune comme des gosses qui font le lapin en ombre avec les deux mains dans la lumière d’une lampe de poche…

Samedi 15 novembre.
Aujourd’hui j’expose mes sculptures et quelques poèmes, à la maison de réserve du lac de Rémoray, une maison de la nature et un lieu de travail sur la biologie du Haut Doubs et ses richesses écologiques.

Plus que trois jours de travail pour cette période de travail. Je suis très satisfait du travail effectué. Je crois que c’est le plus agréable des travaux de création que j’ai vécu.
La création de "Mélanges (opéra plume)" avait été une tourmente narcissique et caractérielle, celle de "Récréation", une récréation, celle de "Plic Ploc" est un travail joyeux, efficace, tranquille et serein.
En plus ça avance. Je crois que le fait d’avoir changé de cadre, grâce à un partiel abandon du chapiteau au profit du théâtre (à défaut d’avoir eu une prise en charge financière importante de notre salle de spectacle qui s’appelle un chapiteau), est très profitable à la création et même à la créativité. Loin du lieu commun qui prétend "on ne crée bien que dans la douleur".
On ne souffre bien que dans la douleur, ça oui, mais le reste : balpeau !!! Et surtout l’équipe de "Plic Ploc" est épatante.
Je vais ramasser mes dernières pommes.

Samedi 29 novembre.
Je l’ai pris en pleine tête. Fallait ça pour m’arrêter.
La grippe. En plus en Bourgogne, dans une cave à Gevrey-Chambertin : Bacchus si tu me lâches...
Trois jours à 40, sous la couette à transpirer. Alors il n’y a plus d’urgence et de carnets de "Plic Ploc" en retard, et le traitement des notes des répétitions, et le dossier de demande de création : plus rien d’obligatoire, juste laisser les rêves de fièvre passer et les regarder comme une vidéo dans laquelle on jouerait aussi.
Demain je pars à Toulouse pour jouer "Récréation". Je ne suis guère vaillant, j’ai pas pu m’entraîner et je tousse comme un retraité des faïenceries.

Toulouse le 3 décembre 2003.
Ce soir on joue et je cherche l’énergie que m’a volée la grippe pour assurer chaque soir.
Je vous embrasse.

Le 3 décembre 2003
Bernard Kudlak