Si peu de bruit (10 octobre 2012)

mercredi 10 octobre 2012, par Bernard Kudlak

Le deuil est un état étrange, on attend ce qui va vous arriver et il ne vous arrive rien.

Rien de précis, l’air un peu plus lourd, mais est-ce une idée ou quoi ?

J’ai fait du jardin, à fond pendant mars et avril. Construit une petite serre qui ressemble à une roulotte. Encore des tomates ce jour d’où je vous écris.

Les mains dans la terre avaient une vertu réparatrice. Combien de temps ?

Mais que se passe t’il en vérité ? En vérité rien.

On ne sait pas.

Il se passe que nous jouons le spectacle, la première à Toulouse une semaine après les obsèques était incroyable à tous points de vue. Le chapiteau me semblait en marbre quelques dizaines de minutes avant la représentation, Bob partout pendant le spectacle.

Et la joie quand même.

L’air toujours épais.

Puis le travail pour préparer la recherche de juin. Les photos de janvier, Robert hilare et déconnant.

Une vidéo de janvier qui te coupe l’estomac et sa tombe marquée du nom de sa maman et où le sien n’apparaît pas. Puis une autre visite de soulagement, son nom est inscrit, la tombe est kitch, plastique, laide, sans rien à lui. D’ailleurs : c’est où, lui ? Et re-d’ailleurs où c’est que c’est une tombe qui te ressemble ?

Pas grave, il reste les nuages. T’as qu’à croire ! Rien de fort : mille piqures. Ou mille non-piqures plus « grattantes » encore.

Engourdissements. Peine dans les théâtres, peine en lisant une affiche d’autre chose. Peine en lisant le mot cirque. Peine.

À peine.

Plus fort quelquefois presque comme « la Nausée ». Ton être te parlant du néant.

Engourdissement.

Et puis, quand on croit passer à autre chose, la tristesse déboule, pas la même qu’au printemps, une tristesse d’automne, aux feuilles lourdes, prête à durer longtemps.

Un fond de tristesse comme une boue qui ne décolle pas de tes godasses. La boue sur tes cils pique les yeux.

Les répétitions de septembre ont été un grand moment de plaisir et une belle rencontre avec ce qui sera la nouvelle équipe.

J’ai tout à penser que "Tempus" sera une belle aventure artistique.

Je n’y suis plus le même. Plus vieux. Plus loin mais tout de même là en entier. Je crois. En ce croyant je doute. L’air est double.

Rien de grave là non plus, tout est possible rien ne s’arrête. La vie est vivante.

Mais le regard se tourne sans espoir, pour regarder si le retardataire n’est pas sur la route juste un peu en arrière. Mais se tourne la tête quand même, car il est là, dans la présence forte de son absence. Le retardataire.

Puis sans arrêt le « merde t’es trop con, bordel ! » à tout moment. Pas encore moyen de passer à autre chose. Relire ses poèmes et ne rien déceler. Ne pas pouvoir écouter sa musique.

Lui dédier la joie du soleil sur l’océan au coucher. Et quelques minutes de silence. Les étoiles chaque nuit de belle nuit. Les grands chênes de nos forêts et le vol des derniers papillons.

Et puis le temps qui passe et le jour qui diminue chaque jour. Ainsi le temps de notre vie.

Accepter sa tristesse, la vivre et vivre.

La peine, c’est à peine, mais tout le temps.

Je vous embrasse Bernard Kudlak

* "Si peu de bruit" comme l’écrit Philippe Jaccottet.