Le Journal du Dimanche
7 novembre 1999

Cirque Plume, tout un poème

Barbara Théate

UN ANGE PASSE. Un peu fripé, les ailes ébouriffées, la barbe épaisse et les cheveux en bataille, le messager divin traverse la scène du chapiteau à toute allure. Tour à tour sur des patins à roulettes, sur un vélo suspendu au-dessus du public, dans les airs par l’opération du Saint Esprit. Perdant parfois quelques plumes qui vont énerver la concierge bougonne, amuser les musiciens, chatouiller le crâne chauve du jongleur, inspirer les trapézistes, distraire l’équilibriste. Un ange maladroit, ne sachant plus à quel saint se vouer, qui va mettre un peu de poésie dans notre monde de brute.
"Avec Mélanges, je voulais mettre des liens dans cette société où les gens ne se parlent plus. J’imaginais qu’un ange sans dieu fixe débarque dans un lieu improbable, instaure une union entre des personnages et leur permette de créer des choses ensemble", explique Bernard Kudlak qui tisse depuis seize ans avec succès les spectacles du Cirque Plume. Mais peut-on parler simplement de cirque lorsqu’on parle de plume ? Théâtre, danse, musique, chant viennent accompagner et magnifier les prouesses techniques des acrobates. Qui savent tout faire. La chanteuse se transforme en équilibriste, la concierge en joueuse de scie musicale, l’ange en trapéziste. Avec une facilité désarmante. "Aujourd’hui, la nouvelle école du cirque apprends aux élèves à être polyvalents. Les rats du cirque se permettent des styles très différents et cette liberté est une excellente chose." La piste aux étoiles se transforme en scène de théâtre, en cabaret grisant, le chapiteau en station lunaire. La poésie et l’émotion s’installent, le cirque devient hymne à la tendresse.
Un musicien qui s’envole sur sa contrebasse, la concierge qui jongle avec son nez rouge en ombre chinoise, toute la troupe qui joue à "un, deux, trois, soleil"… On se croirait dans un film de Kusturica. "Le cirque est un peu le lieu de la nostalgie du paradis, qui ressemble à la toute-puissance de l’enfance, où les contraintes disparaissent, où tout devient possible. Notre imaginaire n’a plus de frontière. Reste au spectateur à compléter, à rendre l’histoire encore plus merveilleuse et à construire avec nous son spectacle", raconte Bernard Kudlak. Le contact passe, le public, de tous âges, exulte, l’alchimie est magique. Plume se veut un cirque s’inscrivant dans la tradition. "Nous lui sommes entièrement redevables. On ne la trahit pas et on la développe dans le même esprit : nous cherchons à être les plus performants techniquement pour offrir un spectacle de qualité, avec des numéros variés et époustouflants, tout ça sur un fond musical. Même si, chez Plume, la musique n’est pas un simple décor, mais composante à part entière." Et surtout un cirque vivant. "Pour les vivants. C’est vital à une époque où la télévision devient plus importante que la vie elle-même, où les cloisonnements sociaux et culturels sont maîtres. Le temps d’une représentation, on se retrouve à passer un moment ensemble. À vibrer, à partager des émotions. Comme lorsqu’au début des temps les hommes se retrouvaient autour d’un feu."