Un entretien avec Bernard Kudlak
Dans Froggy’s Delight (4 novembre 2005)

Le Cirque Plume a planté son chapiteau au Parc de la Villette pour deux petits mois à Paris où il joue à guichets fermés son dernier spectacle Plic Ploc qui rencontre un superbe succès populaire.
Le Cirque Plume est le fruit d’une aventure qui est née il y a plus de 20 ans dans la tête de six franc-comtois passionnés de spectacle total et poétique.
Nous avons rencontré l’un d’entre eux, Bernard Kudlak, qui en assure la direction artistique dont il faut absolument lire le carnet de création du spectacle qui figure en ligne sur le site du cirque.

Quelles ont été les idées fondatrices et fédératrices du Cirque Plume ?
Bernard Kudlak : Ce sont celles de Jean Vilar, du théâtre citoyen, de l’éducation populaire. J’ai toujours voulu faire du théâtre populaire qui puisse être partagé par tous, de "l’élitisme pour tous" pour reprendre Jean Vilar. Les événements du théâtre de l’après 68 comme le Bread and puppet theater ou le Living theater qui faisaient du happening et du théâtre dans la rue a prouvé qu’il était possible de conquérir un public qui n’allait jamais au théâtre et qui était différent du public traditionnel du théâtre. Le cirque, c’est un peu par hasard.
J’étais marionnettiste et nous avions appris quelques techniques de cirque pour un spectacle Petrouchka de Stravinsky que nous n’avons jamais monté faute d’argent. Mais nous avons utilisé ces techniques dans des spectacles que nous jouions dans les villages de notre région en Franche Comté. La demande était très importante. La demande de fête, d’échange, et il y avait aussi la mythologie du voyage et du cirque. D’où le cirque mais de façon non traditionnelle car nous n’étions pas issus de ce milieu. Notre façon c’était un cirque inspiré autant par Chagall que Chaplin.

20 ans après, ces idées sont-elles toujours présentes où ont-elles évoluée en fonction notamment de la notoriété acquise par le Cirque Plume ?
Bernard Kudlak : Nous sommes à une drôle d’époque où la notoriété est érigée en valeur en soi. Ce qui est une absurdité totale. L’avantage de la notoriété est d’attirer le public et que nous puissions continuer à montrer nos spectacles. Nous sommes toujours sur la même ligne. Dès le départ je voulais partager un espace de poésie en acte avec des écritures poétiques en partage.
Je crois que nous le faisons encore. Et nous avons eu le bonheur de faire du spectacle populaire et élitiste. C’est-à-dire que nous avons réussi le pari que nous avons fait il y a 25 ans. On dit qu’il y a deux malheurs dans le monde : réussir ses rêves et ne pas réussir ses rêves. Je préfère avoir eu le malheur de réussir les nôtres parce que cela ne nous a jamais empêché de continuer au contraire.

Si vous avez réussi vos rêves, quel est le futur ?
Bernard Kudlak : Nous continuons ! Le futur c’est créer des spectacles et accueillir le public. Il faut préciser que le Cirque Plume a choisi depuis 10 ans une croissance zéro. Nous nous sommes limités en nombre de places et nous tenons à garder cette croissance. Nous n’avons pas choisi, par choix de vie, de croître pour gagner plus d’argent. Mais sinon c’est comme pour tous les autres arts. Si on dit à un cinéaste : "Vous avez ait un film. Qu’allez-vous faire maintenant ? Du patin à roulettes ? " il répond : "Non. Je continue à faire du cinéma !" (Rires). Le fait que le public vienne nombreux nous donne plus de possibilités financières et plus de temps de répétitions pour les spectacles, ce qui est précieux. C’est normal mais il faut 20 ans pour l’obtenir.

Justement en termes de travail d’écriture, d’élaboration, de répétition, un spectacle fini comme Plic Ploc demande combien de temps ?
Bernard Kudlak : Ce spectacle a bénéficié de conditions exceptionnelles. C’est la 1ère fois dans toute notre carrière que nous avons disposé d’autant de temps pour le répéter ; Nous avons eu en tout 27 semaines réparties sur 3 ans. Nous avons fait 4 semaines de répétitions une année, 2 fois 4 semaines de répétitions l’année suivante puis 13 semaines la 3ème année. Nous avons pris 3 fois 4 semaines de recherches avant de construire le spectacle. Et avant cela, j’ai passé un an pour réfléchir et prendre des notes pour mettre en place les processus de recherches.

Vous êtes le directeur du cirque et son directeur artistique. Vous écrivez le spectacle et en même temps les membres de la troupe créent leurs personnages. Comment cela se combine-t-il ?
Bernard Kudlak : Je fais la structure, je détermine la ligne conductrice et j’écris presque tous les numéros qui ne sont pas de cirque. A l’intérieur de cette structure, je fais travailler les gens. Il s’agit d’un travail de création et les artistes doivent être créatifs.
Ils sont dans l’improvisation et la création. Et puis je choisis un certain nombre de techniques de cirques avec des numéros dont certains prééxistent au spectacle. D’autres sont créés pendant le spectacle. Les artistes sont quasiment autonomes sur les numéros de cirque.

Depuis que le Cirque Plume existe, vous avez accueilli de nombreux artistes. Avez-vous de nombreuses candidatures ?
Bernard Kudlak : Oui bien évidemment et ce du monde entier. Je conserve les coordonnées de ceux qui sont susceptibles de m’intéresser pour un prochain spectacle et on fait un casting le moment venu.

Plic Ploc est né d’un incident fortuit, une fuite d’eau lors d’une représentation aux Etats Unis. Tous vos spectacles sont-ils nés d’un hasard ?
Bernard Kudlak : Il y a toujours des effets déclencheurs qui vont créer un soutènement au spectacle et parfois l’effet déclencheur ne se voit plus du tout dans le spectacle. J’ai créé "L’harmonie est-elle municipale ?", qui racontait une histoire d’hommes et de femmes, après avoir vu les images des femmes serbes quitter la Kraina pendant l’opération Tempête de l’armée croate aidée par les américains en 1995 en Croatie pour la libération de sa partie orientale. En voyant cela, je me suis demandé ce que les femmes disaient à leur fils, aux hommes qui venaient de commettre les exécutions de Srebrenica.

Plic Ploc existe depuis déjà plus d’un an. Un événement déclencheur s’est-il déjà produit pour un nouveau spectacle ?
Bernard Kudlak : Oui. Je vais créer un spectacle sur les cris de la vie avec un orchestre contemporain. Il ne s’agit pas réellement d’un élément déclencheur car cela me trotte dans la tête depuis un moment déjà. Le 20 ème siècle et ses violences sont obsédants pour moi. Quand on se promène à Verdun, on regarde les champs de bataille et on peut penser qu’il y a un homme debout derrière un homme debout à côté d’un homme debout mort à cet endroit. Les hommes morts à Verdun ce ne sont que des hommes debouts à perte de vue en termes de recouvrement de surface.
Et ce sont des choses qui m’interpellent fortement et me font travailler. Je ne me suis toujours pas remis de ce que la plus belle culture européenne, la culture allemande, a donné comme monstruosités. Bach et Mozart à Auschwitz, on y arrive pas, on y arrivera jamais. Je ne sais pas comment on peut penser le monde après. C’est une vraie question qui me fait travailler et qui fait travailler aussi le sens des spectacles du Cirque Plume.

Il y a très peu de paroles dans vos spectacles. C’est un choix délibéré ?
Bernard Kudlak : Effectivement, il ne s’agit pas de théâtre parlé. Le temps du théâtre et le temps du cirque sont des temps très différents qui se rencontrent que très difficilement. Plic ploc n’est pas un spectacle de fiction, il ne se raconte pas. C’est juste quelque chose que l’on donne à vivre. C’est comme un spectacle de danse, quelque chose de plus immédiat. C’est le temps de l’exploit, le temps du numéro, même si c’était plus vrai il y a quelques années. Maintenant les temps se mélangent un peu mais c’est difficile. Et le temps du théâtre entraîne une distance qui n’existe pas ici. On ne raconte pas une fuite d’eau.

Vous avez beaucoup tourné à l’étranger. Comment y êtes-vous perçu notamment dans des pays qui peuvent avoir une forte tradition du cirque ?
Bernard Kudlak : Nous avons beaucoup tourné en Europe, sauf en Grèce et en Norvège et Plic Ploc ira peut être en Russie. L’Europe est un seul pays et les différences n’y sont pas plus importantes que les différences entre les spectateurs du samedi et ceux du jeudi, qui elles sont très importantes. En revanche, aux Etats Unis, la réaction est différente car on y apprécie plus l’exploit physique et les moments poétiques ne sont pas perçus de la même manière.

Dans le public il n’y a pas énormément d’enfants ?
Bernard Kudlak : Ce n’est pas un spectacle pour enfants c’est un spectacle tous publics. Mais de nombreux enfants viennent voir le spectacle en fin de semaine.

Vous avez créé des spectacles pour enfants ?
Bernard Kudlak : Oui et nous avons même un spectacle avec une chorale d’enfants.

Vos projets de création ne concernent que le Cirque Plume ?
Bernard Kudlak : Non. Entre deux spectacles du Cirque Plume je créé un spectacle. Ainsi entre "Mélanges Opéra-plume" et "L’harmonie est-elle municipale ?" j’ai créé une pièce de musique de Mauricio Kagel qui s’appelait "Variété" qui a été beaucoup jouée et qui avait été écrite pour le cirque dans les années 70. Avant j’avais mis en scène un poème de Victor Hugo pour un acrobate, un comédien et une cantatrice. Le spectacle sur les cris se fera dans ce cadre là.

Sur scène, nous ne voyons que la partie émergée de l’iceberg. Le Cirque Plume représente combien de personnes ?
Bernard Kudlak : Nous sommes une quarantaine.

Parlez-nous un peu d’un des fondateurs du Cirque Plume, Robert Miny, qui en est le directeur musical et le compositeur de la partition musicale du spectacle qui est très importante.
Bernard Kudlak : Depuis le début, nous étions des musiciens et la musique occupe une place très importante dans nos spectacles car elle crée un climat tout à fait particulier. C’est une oeuvre dont on reconnaît facilement la spécificité. La musique de Robert Miny n’est pas celle de quelqu’un d’autre. Donc cela crée une complicité avec les images.
Et il faut aussi souligner que les musiciens sont artistes et presque tous les artistes sont musiciens ce qui crée un creuset musical très important. Et enfin, les musiques de Robert Miny peuvent être écoutées hors du spectacle ; elles deviennent des musiques libres et elles sont souvent utilisées dans les cirques ou les écoles.

Le fait d’être artiste, musicien et comédien est un critère de recrutement ?
Bernard Kudlak : Oui, absolument. Je recherche des artistes très performants qui sont dans l’excellence. C’est important au cirque. Et ils doivent être capables de jouer la comédie. Le caractère est important, le caractère artistique, pas psychologique quoique ce dernier soit également important mais c’est une autre histoire. Pour ceux qui ont plus de technique s’ils sont aussi musiciens c’est bien mais pas obligatoire. Notre spectacle n’est pas un spectacle de numéros de cirque. Il s’agit d’un spectacle total dont les possibilités de jeux et d’être dépassent très largement la nécessité d’avoir des performances.

La troupe est à géométrie variable mais il y a un noyau dur.
Bernard Kudlak : Oui. Actuellement sur les13 il y en a 6 qui ont fait au moins un spectacle. Il y a eu toujours cela. Plic Ploc est le spectacle pour lequel il y a eu le plus de recrutement car en général le renouvellement se fait par tiers. Mais c’est vraiment une troupe. La direction est inchangée depuis le début du cirque.

Vous évoquiez la psychologie. Comment réussit-on un spectacle cohérent avec un esprit de troupe avec des artistes qui ont tous leur personnalité et leur ego ?

Bernard Kudlak : Cela fonctionne avec la parole. C ’est aussi le respect et l’écoute. Et quand on a du temps et que le spectacle marche bien, il y a moins de différends.

Quelle est la durée de vie moyenne d’un spectacle du Cirque plume ?
Bernard Kudlak : C’est 3 ans mais Plic Ploc durera sans doute 4 ans et demi.

Ce que l’on voit est un spectacle abouti ?
Bernard Kudlak : Oui.

Vous jouez en théâtre également ?
Bernard Kudlak : On fait sous chapiteau l’été et en théâtre l’hiver. Surtout pour ce spectacle avec de l’eau même chaude.

L’infrastructure doit être compliquée ?
Bernard Kudlak : Oui, tout à fait. C’est de la plomberie qui doit être réglée tous les jours.

Vous avez déjà un programme de tournée intensif.
Bernard Kudlak : Oui. Et les réservations sont déjà complètes. Cela se remplit même pour 2008. C’est formidable. Nous sommes contents !

"Le spectacle de cirque est un spectacle vivant.
Le spectacle du Cirque Plume est fait par des vivants pour des vivants ;
Il est joyeux, coloré, profond, poétique, sale, brouillon, précis, il est comme la vie."
Bernard Kudlak

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