Il fallait que je vous dise, ce premier octobre 2003 (extrait n°20 du 1er octobre 2003) par Bernard Kudlak

Des fois, ce qu’on est con ! Je ne sais pas vous, mais moi, oui !
Tout à l’heure, je finissais de classer des papiers - les papiers, les papiers… "On en a tant qu’on finit par s’en mettre jusque dans le trou du cul" disait Tournier qui milite pour l’hygiène à la maghrébine, y peut causer lui, l’écrivain ! - bref des papiers. Au détour d’un papier, je réalise que je m’étais promis de vous écrire sur le dernier acte de "Plic Ploc". Sur le champ. Tout de suite. Mon portable est sur la table (mais je branche quand même un clavier pour les frappes au long cours). Je me fais du rangement sur le bureau pour dégager une place à la souris. Clic et… rien.
Rien de ce que j’attendais : plus rien ne fonctionne, ça merde de tous les bouts. L’ordi hurle son mécontentement. Tout clignote, cliquette, cogne et sonne.
Branle-bas de combat, l’ordinateur ne veut plus s’arrêter, il ressemble à un flipper juste avant l’extra balle !
Arrêt autoritaire et MS-DOS. Redémarrage : l’ordi repart, en sifflant comme l’alarme d’un 4x4 de trou du cul dans lequel t’aurais mis un coup de pompe, dans la porte, en passant.
Il va exploser, je pense. J’appelle Dom, il n’y comprend rien. Merde alors.
Je re éteins/rallume, re éteins/rallume pendant cinq minutes. C’est un virus. Non, c’est pas un virus. C’est de la daube, ces game boys ! Toujours en panne. J’en discute au téléphone : je vais appeler "galliot.com" notre prestataire de services (publicité gratuite !). Je repose le téléphone.
Tout d’un coup : la lumière. Quel con ! Mais quelle andouille !!
J’avais juste posé mon agenda sur le clavier ajouté de l’ordi. Alors l’agenda, tu parles, il a joué au flipper avec les touches… D’où les effets de sapin de Noël sur l’écran…
Je me souviens dans "Belle du seigneur", l’Adrien Deume, il jouait avec son briquet, ses lunettes, ses dossiers, sa langue, ses gants en pécari, sa respiration : "S’aimant beaucoup il était à l’affût de perfectionner sa chère santé…" pour apaiser sa peur de rencontrer Solal. Moi, c’est avec mon ordi que je perds mon temps. Pour apaiser ma peur de vous parler de la fin de "Plic Ploc"…
C’est chouette le progrès, on rigole tout seul.

Donc maintenant que ça marche :
Les répètes de cet automne commenceront le 20 octobre.
"Plic Ploc" est un spectacle sur les fuites. D’eau, of course, mais d’humains aussi.
Je crois que ce spectacle nous emmènera vers ceux qui doivent passer les frontières pour fuir la guerre, la misère, l’oppression. Probablement pour la fin du spectacle.
Probablement, nous avons rendez-vous à cet endroit entre les mondes, après une heure et demie de rigolade et de flotte sur les casseroles et d’incontrôlables jets d’eau.
Cette frontière qui sépare, dans notre monde, ceux qui sont au sec de ceux qui sont trempés. De sang, de sueur, de larmes, de merde, de désespoir. Trempés d’injustices et d’abandons.
C’est difficile à dire, car ce que j’écris sonne comme un engagement de ma part. Mais je comprends que nous y allons, tranquillement. Autant le dire.
Probablement juste pour le dire. Juste pour les citer. Ne pas les oublier :
Celui-là qui est passé et dont le petit-fils est ministre de l’intérieur, celui qui n’est pas passé et qui a sombré avec la barque transportant toute sa famille et dont la mer Méditerranée a restitué le corps des semaines plus tard, elle qui est morte de soif sur la frontière entre le Mexique et les USA, lui qui est passé et porte la parole de ceux qui tentent à leur tour…
Juste pour dire.
Elle, lui, qui sont passés, par le passé, et en passant, devenus grands-parents d’un Français sur trois, aujourd’hui.
Eux qui dérivent sur toutes les mers du monde vers le mirage de nos démocraties qui nous semblent si imparfaites, ou plutôt vers le mirage de nos désirs de consommation jamais satisfaits.
Ou simplement vers une vie qui n’est pas faite de peur permanente, de terreurs et d’angoisses.
Vers un avenir possible. Au sec.
"Plic Ploc" va vers eux. Ce ne sera pas un spectacle sur eux. Mais avec eux.
Ou plus simplement un spectacle qui finira là où est cette frontière. Et eux, qui voulurent la passer. Eux qui l’ont passée. Eux qui moururent pour la passer. Eux qui ne passèrent pas.
Dans mon for intérieur, ce sera un spectacle pour eux. Eux, dont je suis fait. Eux pour qui, avec qui, je suis devenu un artiste.

Voilà ce que je voulais vous dire. Et voilà pourquoi mon ordi s’est mis à sonner l’alarme de tous les bouts.
C’est rudement malin un ordinateur !
Tu dis que c’est pas l’ordi qui a posé l’agenda, compteur de temps, sur le clavier ?
Ben non, c’est pas lui ! Pourquoi ? Pour rien ? T’as qu’à rien dire alors !! C’est tout pour aujourd’hui.
Je vous embrasse.

Le 1er octobre 2003
Bernard Kudlak