Midi Libre
4 juillet 2004

La poétique des fluides

La poétique des fluides | Midi Libre {JPEG}Une émotion primitive. Voilà ce qu’on ressent en assistant, les châsses écarquillés à se les faire gicler des orbites, à une représentation de Plic Ploc, la dernière création du Cirque Plume.

Une émotion qui ne nous renvoie donc pas simplement à notre part d’enfance (laissons cette facilité aux "Disniaiseries" de saison), mais à nos derniers atomes de sauvage panthéiste, fraîchement sorti de sa caverne, qui explique l’inconnu par la magie.

Comme Tim Burton avec son Ed Wood ou Quentin Tarantino avec ses Kill Bill, parce qu’ils traduisaient une foi absolue dans la puissance de leur art, ont pu nous faire dire : « Le cinéma, c’est ça ! », Plic Ploc et son merveilleux chef d’orchestre Bernard Kudlak nous font bondir de notre fauteuil de spectateur avec un point d’exclamation au-dessus du sourire : « Ça, c’est du cirque ! » A croire qu’on n’en avait jamais vu avant... Comment voulez-vous dès lors que l’émotion soit autrement que nue, instinctive, primitive, oui, encore une fois, dépourvue en tout cas de tout parasitage intellectuel ? C’est magique parce que c’est beau, c’est beau parce que c’est magique, un point, c’est tout. Allez expliquer, après ça, le merveilleux... Faut-il tout de même tenter le coup ?

Au commencement donc, était la goutte. Une fine perle d’eau qui ne tardera pas à inonder l’imaginaire circassien et nous faire déborder d’enthousiasme. Cette eau, vive, presque espiègle, les acrobates musiciens du Cirque Plume la travaille comme un poète, un champ lexical : ils en explorent toutes les ressources, y compris celles qui n’existent pas. Ainsi les admire-t-on jouer des clapotis au fond de casseroles comme d’un orgue d’orage, faire des claquettes dans une flaque, dessiner des feux d’artifices dans des jets récalcitrants, peindre un coeur dans un miroir d’averse... Quand le H2O n’est pas directement convié sur le plateau, c’est de son image, une balle, un anneau, un tuyau, un parapluie, un vertige, que surgit l’invention.

Au final, c’est un vaste rideau de plastique transparent que prennent d’assaut ces artistes de la plus belle eau : on jurerait des saumons remontant la rivière sans retour. À la source de leurs origines. Rien moins que le reflet poétique de cette émotion primitive qui soudain nous a submergés. Sublime résurgence, quand étanchera-t-on à nouveau notre soif d’imaginaire dans ta pureté originelle ?

Jérémy BERNÈDE