La poisse (extrait n°15 du 24 avril 2003) par Bernard Kudlak

C’est le printemps, il fait beau merveilleusement. Et ça dure.
Quand c’est la poisse, c’est la poisse, il faut attendre que ça passe. Et rien dire. La poisse c’est pas atypique, c’est des trucs des fois qui arrivent.
Par exemple nous avons vécu, depuis deux mois, une grande inquiétude pour notre créateur lumière, qu’une poisserie majeure de santé a mis hors circuit pour un bon moment. Mais la dépoisse, c’est qu’il va s’en tirer.
Courage Sergio, on est tous avec toi.
Nous avons dû, pour Bruxelles, faire appel à des nouveaux anciens éclairagistes pour assurer le spectacle : méga-turbin, et même stage de formation chez le constructeur de la console pour apprendre les complexités de la beauté informatique…Ils s’en sont tirés comme des chefs : à Bruxelles, c’était bien !

Retour à Salins-les-Bains, chez nous, le plus beau pays du monde (faut pas l’oublier !).
Il fait beau toujours beau. Mon beauf agriculteur commence à s’inquiéter de ce "pays imbécile où jamais il ne pleut". Mais pas de mouron pour les petits oiseaux, les bergeronnettes grises nichent sous le faîte du toit du moulin, les "de rivière" derrière le lierre. Dans le bief, le merle chante, les fauvettes aussi. Les chardonnerets cherchent des bosquets. J’ai vu des serins, des tarins. Les accenteurs se sont fait discrets et les troglodytes chantent déjà moins. Les couleuvres ressortent prendre l’énergie du soleil, surtout les esculapes. J’ai même vu un pic-épeichette il y a 3 jours près du bois sur un noyer. Pas si courant…

La poisse.
Nous jouons "Récréation" à Salins depuis hier soir.
Nous avons annulé cette première représentation (nous la reportons).
Un millier de personnes qui repartent. Qui tournent le dos au chapiteau. Les voitures qui démarrent. Un ou deux gosses qui pleurent.
Le dos des gens qui repartent. Comme un dessin de Daumier.
Ceux qui restent tapent dans le tien, de dos :
- "Allez hein ça arrive, c’est pas grave ! C’est mieux qu’un accident."
Euh…oui c’est mieux !
La poisse.
En plus, avant-hier, une caravane a cramé sur la route pour une histoire de freins bloqués qui ont chauffé.

C’est quoi, ce qui est arrivé hier ?
Un bug. En plus, c’est un mot anglais (Georges, n’envoie pas les "Marines", je rigole !). En français, il paraît qu’on dit "bogue".
La console lumière qui bloque trente minutes avant le début de la représentation. Bloquée-boguée (en plus, ma gosse fait un gros rhume à la colo-poney où elle est en ce moment. Mais ça va mieux…), une console révisée il y a quinze jours, montre en main. Mais pas de pneumonie atypique à l’horizon !
Au bureau du Cirque Plume, on vient également de tout changer l’informatique qui merdait aussi. Tout le matos !! Pour tout ça, c’est nous qu’on paye

La poisse.
Dans le public déçu, un papy ne comprenait pas du tout : "Mais enfin ça fait deux mois qu’ils sont là, en deux mois ils auraient pu faire quelque chose…"
Quand on a la poisse il ne faut pas le dire, tout le monde croit que c’est contagieux.
Faut dire que "Courtjus" et "Guetton", les régisseurs remplaçants, ont du refaire les éclairages pour le chapiteau, avant de jouer à Salins : ils ont passé des heures patientes et laborieuses pour retrouver la subtilité et l’émotion de la lumière, indispensables à nos spectacles, usé leurs nuits en réglages et en enregistrements de préparations. Et miracle, tout était prêt à la minute près, avant que…
La console bogue, et nous on beugle, inconsolables. Ce qui est drôle, c’est qu’on aimerait quand même qu’un incident de ce genre ait une signification. Alors on dit des trucs…
Et ça donne envie de fendre du bois, pour évacuer le trac et faire transpirer la frustration : j’aime mieux vous écrire, si je fends du bois je ne pourrai pas jongler ce soir.
Parce qu’on joue ce soir : Willy (un de nos techniciens) est parti ce matin à 5 heures pour Paris avec la disquette du spectacle chez le constructeur de la console, pour initialiser une autre console et la ramener au chapiteau avant 16 heures.
Là, Courtjus et Guetton vérifieront tout le plan lumière et on jouera ce soir. D’accord ?
C’est comme ça que ça va se passer.
Il est 11 heures du matin, je vous dirai demain comment c’était…

Sinon, pour "Plic Ploc", nos artistes canadiens (Laura et Mark) sont là : ils nous présenteront une partie de leur travail demain.
- "Nous n’avons pas travaillé depuis un moment, ça ne sera pas parfait", m’a dit Laura.
J’en demande pas tant.

Je vous embrasse.

PS : si on annule ce soir, j’achète une crécelle.

Le 24 avril 2003
Bernard Kudlak