Le Monde
22 novembre 1988

Le Cirque Plume décolle

Anne Rey

JPEGOn sait que, bien tassée, la plume pèse autant que le plomb. Le cirque Plume mérite son nom, car il n’en fait pas des kilos. Léger, léger, le spectacle (remarqué cet été en Avignon) décolle tout de suite après les exploits un peu fastidieux du manieur de lasso. Une femme-chenille monte langoureusement à l’assaut du chapiteau, le soleil joue à cache-cache, prend une indigestion, on croit à l’existence des géants, aux pluies d’étoiles, aux femmes-enfants et, en bloc, à la surréalité du cirque, celle que soulignait Apollinaire à propos du Parade de Satie-Cocteau-Picasso.
C’est d’ailleurs au Satie des Gymnopédies que ce spectacle onirique — et sans animaux, contrairement aux Zingaro — est dédié, avec un prélude musical de la plus grande fragilité, joué par la troupe entière sur un orchestre de verres à pied. Tout, ici, est prétexte à gags musicaux : s’ils sont jongleurs, clowns, équilibristes, trapézistes ou cracheurs de feu, les jeunes saltimbanques du cirque Plume, débarqués pour plus d’un mois de Besançon, jouent aussi de l’accordéon, du synthétiseur, de la batterie, de la brosse à dent et du saxophone. Pas un temps mort, clona, entre les numéros. Mais un spectacle vraiment beau. Trois cyclistes écologistes jouent le « Quatuor Serioso » de Beethoven, en pédalant ; leur énergie met en marche un tourne-disque antédiluvien et intermittent.
Cela frappe petits et grands, inexplicablement.