L’Est Républicain
5 mai 1984

Le « cirque Plume » relance la tradition des baladins
Une création ébouriffante en Franche-Comté

Ludovic Bassand

JPEGBESANÇON. — Ils sont neuf. Tous âgés de 20 à 30 ans. Ils ont pas mal bourlingué. L’un à Taïwan pour apprendre le chinois... Un autre en Bretagne en tant que sabotier... Tous sont passés en fac à un moment ou à un autre. Passionnés de musique et de spectacle, ils se sont fait connaître à Besançon et en Franche-Comté, avec leur fanfare Léa Traction. Ils viennent de lancer le cirque Plume qui est parti pour une grande tournée dans la région.
Deux filles et sept garçons qui aiment ce qu’ils font et... qui le font bien !

Au départ, était Léa Traction. Une fanfare pas comme les autres : elle s’adressait autant à l’œil qu’à l’oreille. Les musiciens jouaient à l’occasion les jongleurs ou les cracheurs de feu. Au son d’une samba déchaînée, ils se présentaient déjà comme de véritables animateurs de rue. Ils ne dédaignaient pas les spectacles de cabaret et les fêtes de tout acabit.
D’ailleurs, trois des musiciens de la fanfare, créateurs d’une petite troupe indépendante, la Gamelle aux étoiles, rêvaient de plus en plus au cirque. L’idée ne devait prendre corps qu’au début de cette année, avec le lancement du cirque Plume, qui réunit les neuf de la fanfare. Sûrs d’être au point après un spectacle donné à Besançon, sous le chapiteau des Manches à Balai, ceux-ci se sont « jetés à l’eau » avec la nouvelle année. La somme de leurs talents leur permet aujourd’hui d’aspirer au professionnalisme total. Qu’on en juge l’organigramme, à première vue loufoque, du cirque Plume, laisse deviner la variété du spectacle proposé. Le plus ancien, le plus expérimenté, le leader, pourquoi ne pas l’avouer, Anastase Cacao, le bien nommé, jongle, administre, mélophone, poétise et alto-bugle (le bugle est un instrument à vent), avec l’aisance que lui confèrent cinq années dévouées au spectacle. Artiste à part entière, il est originaire de la région, malgré un détour en Bretagne en tant que... sabotier.

Neuf saltimbanques

Derrière les noms de scène de ses camarades, se cachent des jeunes passionnés par ce qu’ils font et dont l’assurance sous le chapiteau ou devant le public de la rue, prouve leur valeur. Jo la Taloche crache le feu, trompette et bugle. Anémone Nénuphar jongle et danse mais elle est aussi une virtuose de la flûte et de la clarinette. Camille Dupneu est le batteur de la troupe. Roger Grumeau, l’artificier, est aussi un excellent saxophoniste et violoniste. Marcel Goujon se présente comme le chef d’orchestre. Il compose et arrange les morceaux quand il ne gratte pas son banjo.
Rita Crapo jongle et joue de la basse à vent avec un charme naturel propre à chavirer les foules. Philemon Hors-les¬Murs, comme les huit autres, est un cas. Parisien, il apprit en même temps le cirque et... le chinois. De retour de Taiwan où il était parti se perfectionner, il fit un honnête monocycliste, jongleur, magicien et musicien ! Quant à Piotr Stepanovitch Von Rictus, il manie des instru¬ments aux noms aussi bizarres que hélicon ou soubassophone. Neuf saltimbanques pour émerveiller et faire rire qui, somme toute, relancent la tradition des baladins.

Un tabac à Strasbourg !

Anastase Cacao, longs cheveux blonds emmêlés et sourire de Pierrot lunaire, explique comment le cirque Plume naquit. La fanfare Léa Traction l’enfanta dans la galère. « Il fallait acheter le chapiteau, une remorque, trois camions et construire les gradins ». Inutile d’ajouter qu’Anastase, Piotr, Philemon et les autres, n’avaient pas le premier sou. « Les banquiers prêtaient à des taux trop élevés. Finalement, chacun a emprunté, à zéro pour cent, à droite, à gauche ». Première prestation du cirque Plume au festival de printemps de Strasbourg. « On a fait un tabac ! », déclarent les neuf joyeux lurons. On peut les croire : ils ont une qualité, la modestie. Beau début donc pour des artistes dont certains sont encore obligés de travailler hors du cirque pour « joindre les deux bouts ».

Succès égal chez les rockers et chez les retraités

Basés à Chay (25), un minuscule village adossé à la Loue, où douceur de vivre a encore un sens, le cirque Plume s’apprête maintenant pour sa première grande tournée d’été, qui le mènera dans toute la Franche-Comté, et même jusqu’à Strasbourg et Montpellier. Au programme : des animations de rue et des représentations de cirque. Encore quelques jours et les caravanes garées au centre de Chay, prendront la route. Faut-il révéler la teneur des spectacles prévus ? Anastase lève un coin du voile « Nous présentons un spectacle construit. Nous sommes quasiment tous sur scène en même temps pendant une heure et demie. Il n’y a pas de clowns au nez rouge, mais quand même un numéro clownesque ».
Une preuve supplémentaire que le cirque Plume a les moyens de ses ambitions : il a rencontré autant de succès à l’hospice pour vieillards de Quingey (25), qu’au festival de rock de Clermoulin (25) ! Une performance... Anastase ajoute : « Pendant notre spectacle, les adultes rient autant que les enfants, mais pas pour les mêmes raisons ».
Bilan à l’automne pour ce cirque franc-comtois, après six mois de tournées et en attendant des subventions... quasi-vitales.