Le Figaro
14 novembre 1989

Léger comme un rêve

Jacques RICHARD

JPEGIl faut beaucoup de talent pour acclimater la féerie sur un terrain vague où l’on s’attendrait plutôt à voir rôder quelques escarpes surgis d’un roman de Léo Malet : ici s’élèvera un jour la Très Grande Bibliothèque. Pour l’instant, le lieu se trouve doté de charmes inattendus par la grâce du Cirque Plume ; son chapiteau déménagera le 27 pour s’installer alors aux Arènes de Lutèce.
Là, Paris découvrait il y a un an cette équipe de baladins conduite par Bernard Kudlak, venue de Besançon avec un surprenant spectacle très représentatif de la nouvelle vague du cirque, celle qui reconsidère la tradition, parfois — hélas ! — avec une lourdeur dévastatrice, mais parfois fort élégamment, et c’est le cas de Plume.
On a plaisir à retrouver certains des tableaux qui, l’hiver dernier, enchantèrent la
rive gauche : le prologue des verres musicaux avec, dans la pénombre, la lente entrée des acrobates ouvrant les portes du rêve, les musiciens fous et Beethoven à la merci de leurs monocycles (voyez et vous comprendrez !), le final des brosses à dents, d’innombrables fondus enchaînés d’images vivantes et bouffonnes, et ces artistes qui ne quittent la piste que pour l’orchestre, où ils sont capables de jouer des instruments les plus insolites en passant de Satie à la batucada.
Le principe est le même dans un cirque comme le Puits aux images, où la dérision règne avec une efficace jovialité. Le Cirque Plume, lui, se cherche, se trouve et s’affirme dans l’arachnéen. Mais avec encore plus de rigueur que l’an passé : le spectacle paraît mieux équilibré, sans temps morts, les numéros sont d’un niveau remarquable : Brigitte Sepaser sur le fil, Valerie Dehais à la corde et au trapèze, Mathieu Seclet, majestueux archange blanc du Washington, qui est un des premiers issus de l’école nationale de Châlons, et puis le jongleur virtuose Vincent Filliozat, étourdissant dans sa manière de casser les rythmes en imaginant les figures les plus étranges. Chacun est drôle avec sérieux, le clin d’œil fait oublier la technique et le spectacle passe comme un rêve léger, dans la compagnie des poètes.