Les joies de l’immersion (extrait n°11 du 28 novembre 2002) par Robert Miny

LES JOIES DE L’IMMERSION.

Retour sur les questions de temps - chronologie temporaire.

Les années passent par hasard, petit à petit…
Christophe Beltzung

Février 2000 - lu dans " l’Homme sans qualités " de Robert Musil :

Le train des jours est un train qui déroule les rails devant soi à mesure qu’il arrive.
Le fleuve du temps est un fleuve qui emporte avec soi ses rives.

Décembre 2000 - mis en musique ce texte de Bertrand Gaudillère, photographe :

Le temps qui file
le temps qui passe
un coup c’est pile un coup c’est face
face c’est facile
pile on s’efface
de toute façon on garde une trace

des jours qui filent des mois qui passent
des jours qui filent des mois qui passent

que l’on s’abîme
ou qu’on s’enlace
faut le profil pour se faire face
avoir le style
avoir la grâce
tout oublier de cette angoisse

du temps qui file du temps qui passe
du temps qui file du temps qui passe

on est fragile
sous la menace
des jours qui filent des mois qui passent

qu’est-ce qu’on attend du pile ou face
du temps qui file du temps qui passe ?

Avril 2001 - relevé au dos du livre de Pascal Quignard, " Terrasse à Rome " :

Il y a un âge de la vie où l’on ne rencontre plus la vie, mais le temps.
On cesse de voir la vie vivre.
On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue.
Alors le cœur se serre.
On se tient à des morceaux de bois pour voir encore
un peu le spectacle qui saigne d’un bout à l’autre du monde et pour ne pas y tomber.
Septembre 2002 - pour le plaisir, relevé arbitrairement dans " le Petit Robert " :

Temps : milieu indéfini où paraissent se dérouler
irréversiblement
les existences dans leur changement, les événements et les phénomènes dans leur succession.
Entité représentative du changement continuel de l’univers.
Catégorie fondamentale de l’entendement, objet de la réflexion philosophique et scientifique
liée à l’expérience de la durée.
Mais aussi :
Etat de l’atmosphère à un moment donné,
considéré surtout dans son influence sur la vie et l’activité humaines.
Et encore :
Chacune des phases dont l’ensemble constitue le cycle de fonctionnement d’un moteur.

Avec la même délectation, dans " le dictionnaire Larousse de la Musique " :

Temps : unité rythmique qui est elle-même la subdivision d’une mesure.

Octobre 2002 - entendu dans le dernier disque d’Alain Bashung :

Le temps écrit sa musique
sur des portées disparues
et l’orchestre aura beau faire pénitence
un jour j’irai vers l’irréel
tester le matériel…

et aussi :

A l’avenir
laisse venir
l’imprudence…

Réalisé, enfin, cette vignette à partir d’une phrase de Christophe Beltzung :

Dessin de Bernard Kudlak | "Dans la nuit de mardi à jeudi 300 serpillères étaient avancées"

…A suivre .

A propos de Plic Ploc...titre provisoire ?

Voici le temps d’un autre spectacle.
Un spectacle de cirque.
Dans un beau théâtre.
Plume in concerto : le temps réel.

Deux années durant, nous nous sommes laissé le temps
de refondre au creuset de " Récréation " les ors de nos anciens spectacles,
et de brûler en un feu de joie la mémoire de notre savoir-faire.
Et nous voici tout neufs.

Or quelque chose fuit : tout à l’heure, il y avait une tache sur le rideau,
à présent des gouttes d’eau tombent sur la scène.
Sous la menace de " l’averse ",
alors que le cours des choses se poursuit et qu’on ne peut interrompre la représentation,
nous allons être contraints à gagner du temps, tenter de réparer,
ou peut-être…utiliser les fuites, d’abord apparues comme des contretemps,
mais que chacun aura dès lors à cœur d’intégrer dans son jeu, sans temps mort,
pour ce qu’elles sont : de petites sources...

Le spectacle est désormais hanté par l’obsession du temps qui fuit.
Et que l’on appréhende jamais qu’à travers la durée.

…Ils passaient le plus clair de leur temps à observer les crépuscules,
ils ont pris pour hypothèse la constance de la vitesse de rotation de la terre,
ils ont pris des mesures, ont inventé des instruments pour objectiver la durée,
des horloges mécaniques,
des métronomes, pour la musique,
mais voici que dans ce goutte à goutte leur revient l’antique mémoire des clepsydres.

Eloge de la fuite.
Goutte après goutte,
fuite du temps :

Dans l’espace étrange
qui naît des légers décalages de douze métronomes
lancés ensemble au même tempo,
dans ce crépitement aléatoire et pourtant stable,
le temps déborde.
Comme l’eau, comme les rêves.

Abolie, la durée.
Le temps est renvoyé à lui-même,
en un jeu de miroirs et d’images qui absorbent et relancent nos fuites en avant,
en un jeu musical dont les séquences rythmiques évolutives, répétées, entrelacées
nous rappellent les rondes sacrées.

" À partir de l’avenir, l’oiseau de l’instant même trace l’itinéraire du rêve et du plaisir ". ( Jacques Prévert )

POINTS DE FUITE / INSTRUMENTARIUM

Ici, l’eau est agissante.
C’est un intrus dans le cours d’un spectacle normal.
Un personnage d’abord incontrôlable - délit de fuite.
Qui pourra se manifester sous différentes formes : gouttières, clepsydres, fontaines naissantes,
en petits jets ou en vapeurs,
cascades, geysers, rideaux de pluie, orages,
et puis ruisseaux, mares, poches ou vastes bassins…

sans oublier l’eau qui dort.

°

La musique de l’eau naîtra de la surprise, et non d’instruments fabriqués pour la produire.
Le plus souvent possible,
jouer avec l’aléatoire, les problèmes, les accidents que cet intrus engendre.

Pour faire chanter l’eau, ou chanter avec elle, outre les instruments traditionnels,
nous utiliserons donc de simples ustensiles.
Notre " ustensilarium " ira du verre de bistrot jusqu’à la bâche plastique,
en passant par la cruche, l’assiette creuse, la casserole , le pot ,le broc, la bassine, le bidon,
l’arrosoir, le tonneau, le parapluie, la gouttière ou le tuyau…

sans oublier l’éponge végétale.

°

Tout cela va se mettre à " sonner ".
Alors, tandis que leurs ustensiles étaient là pour parer au plus pressé,
nos plombiers de fortune pourront peut-être, une fois pris au jeu,
les utiliser comme des instruments, oubliant l’eau - et leurs déboires...

à la découverte d’un nouvel Art de la Fuite*.

¤

*Bach : mot allemand, qui signifie rivière.

Le 28 novembre 2002.

Robert Miny