Lettre d’octobre comme le groupe (extrait n°14 du 21 octobre 2008)

Lumbago.
Je trouve que je ne vous écris pas suffisamment souvent mais je suis plongé dans l’écriture de "L’atelier" et la rédaction du dossier d’aide à la création.
Il y a 3 semaines, j’ai eu un lumbago… c’est bon signe ! J’avais trop passé de temps sur l’ordinateur depuis mon retour d’Helsinki où nous jouions "Plic Ploc", assis tout de travers, dessinant, rédigeant, faisant des petits dessins sur ma palette graphique, jolis jolis. Il faut préciser qu’une palette graphique, ça vous vrille la colonne : tu dessines sur un support horizontal et ton dessin apparaît sur un écran vertical, ça tord… (En fait, j’ai appris que mon installation est portnawak quant au rapport de la chaise au clavier).

Autoportrait en création. Acrylique
CARNET DE CREATION | "L’atelier du peintre"

En vrai, c’est dans la tête : j’en étais, dans mon écriture, à un moment où il faut que ça dérange les cervicales, celui où je devais ordonner, choisir, classer et commencer à décider ce qu’allait être "le spectacle" dans sa structure.

Résultat : métamorphose en cloporte.
Du coup, ne pouvant plus tenir sur ma chaise, je m’allongeai avec un carnet à dessin et des feutres fins.

Et j’écrivis, je dessinai, j’ordonnai, je classai, je choisis, j’avançai. Et la structure du spectacle se mit en place au gré de mes gribouillis.
Le dos coincé comme désinhibiteur de l’élan créateur.

Conclusion évidente : quand je ne puis plus marcher, j’avançai. C’est inquiétant docteur ?







Chalons en Champagne.
Il y a trois semaines, avec Pierre, mon frangin, nous devions animer et diriger, à l’École Nationale Supérieure des Arts du Cirque de Chalons en Champagne, un atelier de 5 jours, consacré à "l’écriture de spectacle de cirque". En raison de mon mal de dos, Pierre a fait les premiers 2 jours et demi seul et je me suis pointé à l’école avec ce retard-là.

Nous avons bien travaillé. Et les élèves aussi. Formidables, les élèves. Ils m’ont donné la pêche. Je leur ai livré mon état de création, j’ai ouvert mon ordi et j’ai montré la démarche de création, lu le brouillon du tapuscrit, montré les dessins, etc.… Ils en savent plus que vous à l’heure actuelle de ce que sera "L’atelier". Jamais je n’avais montré mon travail en cours à quiconque pendant une création. Il y a un début à tout.

Le travail proposé aux élèves tournait autour du thème "Racontez le spectacle de vos rêves". Et mettez-le en scène, en image, en écriture. Un thème qui permet de projeter, idée de Pierre. Ce fut très intéressant.

Pour ma part, je me suis appliqué à montrer combien tout ce que l’on montre, parle. Et qu’en interrogeant ce que l’on est en train de faire, nous avons la réponse à bien des questions pour la suite. Qu’une écriture se déploie dans tous les sens et ces sens-là nous interrogent et nous répondent.
Présentant le mini spectacle qui concluait les jours de travail sur cette écriture, un groupe d’élèves (il y en avait 6) avait créé une entrée où chaque artiste entrait un œuf dans la bouche. Il posait cet œuf, et devant lui chacun avait une gestuelle désordonnée, acrobatique ou non et répétitive.
J’ai interprété qu’en entrant un œuf dans leur bouche, les artistes indiquaient qu’ils étaient momentanément dans l’impossibilité de toute parole. Et que ce qui les empêchait de parler était un monde en devenir, un monde vivant à naître (un œuf !). La présentation plutôt réussie de ce groupe terminait par un moment où chacun des artistes tapait autistiquement sur un ordinateur (était-ce ce monde-là, né de l’œuf, qui privait de la parole ?). Enfin, en sortant, une fille lisait une lettre de son père, en une parole terrible et libératrice. Ainsi, plus ou moins inconsciemment, l’impossibilité de parole du départ se confirmait par la tentative d’en avoir une chacun pour soi, par l’intermédiaire de l’ordinateur. La lettre poignante du père à sa fille pour lui parler de la difficulté de parler, confirmait alors mon intuition. Une logique impeccable pour ce que ces élèves se proposaient de construire.

L’écriture n’était pas un savoir extérieur venu de ceux qui savent, mais un élan intérieur et impératif de ceux qui agissent : les artistes en création. Les connaissances inconnues, les élans poétiques étaient si justes que l’idée d’écriture prit tout son sens. Les élèves étaient dans le processus de création, dans la liberté, pas dans l’explication savante de ce que pourrait être une écriture. Le feu du vivant créatif brûlait. Ce fut une belle expérience. D’autant que ce type de lecture fut possible pour chacun des six groupes.

Et j’ai donc appris que je savais des choses que j’ignorais savoir. En décidant de leur enseigner cela, ils m’ont permis d’apprendre ce que je me promettais d’enseigner.
Pendant ce séjour, on nous apprit que nous étions les premiers dirigeants et créateurs d’un cirque, depuis au moins 15 ans, à venir faire travailler les élèves. Que n’entraient à l’école de Chalons que les chorégraphes et les metteurs en scène de théâtre. Et ben voila, ça change.
Que le cirque, art mythologique, prométhéen, reste un art de la nostalgie du paradis ! Qu’il soit un peu crotté, vulgaire, branché, populaire ou aristocrate, mais un art du feu intérieur et de la beauté du geste, de la poésie du clown, un art total du presque rien, un art du danger et de la disparition. Cet art d’analphabètes connaît les langues inconscientes et poétiques parlées et comprises par tout le monde. Que le cirque soit le chant du monde, on ne lui en demande pas plus et c’est déjà pas mal.

Mais par pitié, qu’il arrête de vouloir être un semblant de danse, un faux théâtre, une mauvaise comédie.
Vos actes de cirque sont des merveilles, n’écoutez pas les dénigreurs, ai-je dit aux élèves de l’Ecole Nationale Supérieure de Chalons en Champagne.

Centre chorégraphique.
Une bonne nouvelle, Kader Attou, avec la compagnie Accrorap, vient d’obtenir la direction du Centre Chorégraphique de la Rochelle : le hip-hop entre dans le milieu de la danse par la grande porte.
Bravo, les gars de Besançon, je suis heureux pour vous.

Et pour le cirque, la grande porte elle est où ?
Au regard de la danse, où en sommes-nous des relations entre l’Institutionnel et le Cirque ? Dans le monde du cirque, qui a les moyens de travailler à l’instar de Kader ?
Le cirque est toujours le lumpenprolétariat des arts du spectacle. Est-il juste bon à alimenter les compagnies de danse en performances et à produire des soli et des duos, faute de quoi on ne mange pas ?

"Le cirque est tout petit !", entend-on dans les couloirs ministériels. Un moindre vent le fera t-il passer par fenêtre ? J’en ai peur ! Est-ce l’automne du nouveau cirque ?
Je pense que l’avenir du cirque est devant nous (c’est malin !), mais il est temps de se bouger, les gars et les filles ! On nous a offert le feu de l’Olympe, ce n’est pas pour y jongler 3 torches enflammées dans le fond de la scène du Banquet de Trimalcion.

Lundi 13 octobre 08 : Débats au syndicat.

Journée de débats et réflexions pour fêter les 10 ans du Syndicat du Cirque de Création.
En gros, on a évité le sujet qui fâche (le marasme dans le cirque contemporain et la dilution de son identité dans un secteur artistique de vague sous-chef-lieu de canton du théâtre et de la danse !) et j’ai mis une semaine à m’en remettre. Bon… mais nous avons parlé de la sécurité et c’est très important !

À la suite de cette rencontre, je suis en train d’écrire un peu de mes réflexions au sujet du cirque aujourd’hui : ça me pompe de l’énergie que je ferais mieux de mettre dans la création, mais si je n’ordonne pas ce qui tourne dans ma tête, c’est pareil ! Je vous enverrai le résultat plus tard…
Ce qui a déclenché ça, c’est une prise de position de Marc Fouilland, directeur de "Circuits", scène conventionnée d’Auch, disant qu’on devrait interdire aux cirques qui travaillent quelquefois avec l’institution de jouer à la recette, protestant que "Les Nouveaux Nez", qui s’étaient ruinés à la recette, avaient augmenté leurs prix pour son festival. Mais il a oublié de dire que si le public était là pour le spectacle des Nouveaux Nez, il leur manquait les aides publiques ! Dont lui, par ailleurs, bénéficie pour son festival. Où ne vont pas se nicher les notions de concurrence ! Cette parole est symptomatique du marasme dans lequel est le cirque nouveau aujourd’hui…

Car si nous faisions le calcul du coût réel des spectacles de cirque nouveau et du prix réel que devraient pratiquer les compagnies, Marc Fouilland aurait des surprises pour le porte-monnaie de son festival. Et je ne parle pas des festivals off, ni de l’intermittence… De toutes façons, ce sont toujours les artistes qui paient et qui trinquent. C’est le bout de la chaîne.
J’en parlerai dans la prochaine lettre, j’attends que ma colère baisse pour raisonner.

J’ai profité de ma présence parisienne pour aller voir l’exposition "Picasso et ses maîtres". C’est magnifique, le plus beau musée du monde ! Courez-y !

J’embrasse tout le monde, même ceux qui m’agacent. Ce qu’on peut être susceptible en période de création tout de même !

Aujourd’hui 22 octobre 2008, l’Inde envoie une fusée sur la lune, aujourd’hui le dernier gorille indien cherche une compagne. Y a-t-il un rapport entre ces deux informations dont la seconde me navre profondément ?
Quel monde laisserons nous à nos enfants ?

Bernard Kudlak