Libération
9 avril 1994

Leurs trucs en Plume

Marc Laumônier

Dans un chapiteau en loques, la troupe fait renaître le cirque : "Toiles", où l’exploit cède le pas à l’illusion.

Cirque Plume, "Toiles ". Parc de la Villette, 40.34.65.66.
du jeudi au .samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h.
Jusqu au 24 avril.

Issu du théâtre de rue, le cirque Plume est né il y a dix ans à Besançon. Avec quatre spectacles à son actif, Plume s’est infiltré dans la brèche ouverte, quelques années plus tôt, du nouveau cirque. Sa dernière création, présentée cet été au Festival Off d’Avignon et prolongée en ce moment au parc de la Villette, Toiles, devrait ravir les nostalgiques de la tradition comme les adeptes du renouveau. Peu importe que la piste ait perdu de sa rondeur, que le clown traditionnel ait été remisé au rayon des accessoires, ou que les animaux soient absents. A lui seul, Cyril Casmeze est une vraie ménagerie et vaut son pesant de cacahuètes : torse velu, musculature à faire frémir, il est plus convaincant que son cousin lorsqu’il en adopte le faciès et la démarche simiesque. Bernard Kudlak, l’instigateur du spectacle, jongleur et meneur de la troupe, fait preuve d’ingéniosité et démontre que le cirque peut encore se ragaillardir.
Ce n’est sans doute pas un hasard si le décor de Toiles présente un chapiteau en état d’abandon, toiles pendantes, sol jonché de cartons. Un monde désolé, presque archaïque, auquel les dix-sept artistes, jongleurs, acrobates, trapézistes... tous musiciens, vont redonner vie, instillant de nouvelles règles du jeu, tout en préservant un savoir-faire plus que centenaire, celui des saltimbanques.
L’atmosphère moyenâgeuse qui flotte sous le chapiteau sied parfaitement à ce monde où l’illusion règne dans une apparente pagaille soigneusement entretenue par la mise en scène de Bernard Kudlak. Sur une musique originale composée par Robert Miny.
Au culte de la performance, tenant souvent de la stricte gageure, le cirque Plume oppose une déconcertante dérision et un sens aigu du spectacle. Les prouesses acrobatiques (Daniel Péan), émaillées de chutes calibrées au millimètre, médusent la foule qui passe de l’apnée à la franche hilarité. Emotion et rêverie sont au rendez-vous dans un numéro de danse sur fil (Brigitte Sepaser accompagnée par un violoniste), où, par de subtils jeux d’ombres, la réalité cède une fois encore le pas à la magie.
Dans ce spectacle, même les balles du jongleur échappent à la volonté de leur manipulateur, le piano refuse de se soumettre au bon vouloir de son interprète, provoquant une incroyable corrida dans laquelle les Circassiens peineront à contenir l’instrument rebelle. Dès lors, on s’étonne à peine de voir le prestidigitateur foirer lamentablement ses tours tant l’univers du cirque Plume semble rétif à toute rationalité. Et l’on trouverait presque logique d’effectuer un équilibre main à main pour se dire bonsoir (Dominique d’Angelo et Alexandre Demay font ça très bien). Immanquablement, Plume vous propulse ailleurs.
Voilà du cirque et du meilleur.