Un entretien avec Bernard Kudlak
Par Patricia Coller, dans Artiste Pluriel (décembre 2004 - janvier - février 2005)

Le Cirque Plume,
entre acte et poésie

II y a vingt ans, Bernard Kudlak propose à sa troupe d’amis saltimbanques amateurs de porter le rêve et la poésie sur les routes. Et le Cirque Plume monte son chapiteau, fait la fête, réunit un public méli-mélo, fait vibrer l’œil, l’oreille, l’imaginaire, les désirs… Rencontre avec un directeur artistique inventif et inventeur d’un cirque bien vivant.

Pourquoi avoir choisi la vie d’artiste ?
C’est une vaste question. Le choix d’être artiste procède probablement d’une nécessité. Est-ce que vous pouvez vivre sans être artiste ? Non. Voilà c’est réglé.
C’est vraiment une nécessité absolue comme celle de se nourrir.

Et pourquoi le cirque ?
La recherche d’un spectacle exigeant et populaire m’a mené sur les terrains du cirque. Quand on a découvert le cirque, il y a à peu près vingt-cinq ans, il était quelque peu en friche. On parlait même de la mort du cirque. Puis, on a découvert un répertoire et un monde extraordinaire où il était très intéressant de se promener. Aujourd’hui, avec le cirque Plume, on a réussi à réaliser ce pourquoi on s’est engagés sur ce chemin. On monte des spectacles exigeants qui attirent un public très mélangé.

Il s’agissait de conjuguer l’exigence artistique et la rencontre avec un public populaire ?
Oui, c’est vraiment le rêve de Jean Vilar. La seconde raison, aussi essentielle que la première, voire peut-être plus, à cette création est que l’écriture au cirque n’est pas une écriture narrative. C’est plutôt une écriture poétique. Nous reprenons ce qu’Henry Miller disait "Le cirque, c’est un poème en acte".

Comment avez-vous commencé ?
Un peu par hasard. En autodidacte. J’étais marionnettiste. J’ai appris à jongler pour monter en marionnette Petrouchka de Stravinsky. La pièce ne s’est pas faite mais j’ai voulu franchir la porte qui s’était entrouverte.Ensuite est né le Cirque Plume dont je suis un des fondateurs. Dès le début, j’ai été metteur en scène et pendant longtemps, j’ai jonglé et joué un personnage clownesque.

Avec le Cirque Plume est né ce qu’on appelle le "nouveau cirque"…
On a réellement créé une forme artistique, un style, mais on n’était pas les seuls. Il y avait alors quatre ou cinq compagnies. Et, en effet, après nous, s’est ouvert ce qu’on appelle aujourd’hui le nouveau cirque. Les arts du cirque sont un des arts les plus connus en terme d’image. Dans n’importe quel jouet pour enfant, on retrouve un clown ou des lions... Ces formes de cirque datent des années 30. Toutefois, ce qui fait le travail de cirque - l’équilibre, le jeu, le jonglage, etc. - peut être utilisé comme un matériau dans tous les sens possibles de la créativité. Cela peut aller d’un spectacle qui ressemble à de la danse contemporaine aux spectacles du Cirque Plume ou à des spectacles de hip-hop. Il rassemble tout ce que les gens peuvent imaginer à partir du travail corporel du cirque et de son imagerie. Car l’imagerie et la mythologie du cirque restent très importantes.

Il existe donc une continuité avec le cirque traditionnel...
C’est différent mais il y a sûrement une continuité. Comme il y a plusieurs formes de théâtre, il y a plusieurs formes de cirque.

C’est un art difficile à définir car il est pluridisciplinaire et privilégie l’intention créative...
Oui. Un des éléments qui, selon moi, le définit est le temps. Le cirque s’inscrit dans un temps particulier qui n’est pas celui du théâtre mais un temps plus immédiat, un temps de l’acte. Comme la danse. Cela fait une grande différence avec le temps de la narration et du signe qui est le temps du théâtre.

En quoi consiste votre rôle de metteur en scène et de directeur artistique ?
J’écris les spectacles. Je fais des propositions sur différentes scènes, sur la trame de fond du spectacle, sur la scénographie, sur la direction prise et les éléments fondamentaux. Par exemple, pour le spectacle Plic-Ploc, j’ai imaginé les ombres, l’eau, les éléments structurels du spectacle. Puis je conduis la création du spectacle à partir d’improvisations pour lesquelles chacun devient créateur. Les artistes qui sont invités amènent aussi leurs techniques et leurs compositions à travers des numéros qui sont quelquefois repris tels quels pour le spectacle.

Ce n’est pas une écriture narrative ?
Non, c’est une écriture poétique plus que narrative. Mais il y a quand même une véritable écriture qui se voit, me semble-t-il, dans le spectacle. Mais je ne peux pas en parler. Il faut venir voir le spectacle. C’est la limite de l’exercice.

Comment conciliez-vous liberté des artistes et cohérence du spectacle ?
Cette question est la même dans toutes les formes de création. J’imagine que pour quelqu’un qui écrit un livre, tout doit être cohérent du début à la fin. Plus ce qui est fondamental est clair, mieux on sait où on va et comment on a envie d’y aller, mieux on peut s’y référer en cas de doute. Et puis, au bout de vingt ans au Cirque Plume, on a créé un vocabulaire au sein duquel nous pouvons travailler. De la même façon qu’un peintre, un écrivain ou un comédien imprime sa marque à travers un style, le Cirque Plume a un style tout à fait identifiable. Ensuite chaque élément participe à l’ensemble. Il n’y a pas de contradictions. Vous pouvez dessiner une BD et mettre des photos dedans, on ne dira pas que c’est contradictoire. Si la trame souterraine et invisible est très solide, les choix artistiques resteront cohérents.

Votre rôle est-il différent de celui du metteur en scène de théâtre ?
Il y a également une forte marque du metteur en scène dans le spectacle de cirque. Les propositions d’artiste sont nombreuses. Les choix sont des centaines de choix à chaque minute car au départ il n’y a rien. Le metteur en scène décide à l’aide des matériaux qui sont à sa disposition. Chacun de ses choix construit l’œuvre.

Le cirque est marqué par le travail des techniciens…
Nôtre spectacle travaille des éléments magiques. Nous avons toujours envie de créer des éléments totalement surprenants. Créer des choses qui n’ont pas existé représente le fond même du travail artistique. Ainsi, comme au théâtre, il y a toute une machinerie. Cela nécessite des compétences techniques particulières. Le Cirque Plume réunit donc des techniciens spécialisés par exemple dans le travail aérien. Il y a aussi un travail très important dans l’ombre pour faire en sorte qu’aucune ficelle ne soit visible. Et aujourd’hui, le spectacle Plic-Ploc joue avec l’eau, les gouttes d’eau, les jets d’eau... Domestiquer l’eau et ses fuites est une énorme tâche. On a donc installé une nouvelle régie eau. Nous avons par ailleurs construit, au moment de la création du spectacle, un dispositif qui permet l’adaptation du chapiteau au théâtre.

Avez-vous une équipe en coulisse qui travaille sur vos créations ?
Nous avons avec nous des ateliers de fabrication, des personnes spécialisées. Quand on crée un spectacle, on a besoin de soudeurs, de menuisiers, de décorateurs qui créent le décor, de constructeurs-décor qui le fabriquent, de costumiers... Par exemple, à chaque création, on crée un atelier costume qui emploie cinq personnes. Sur Plic-Ploc, du fait du travail sur l’eau, les techniciens de plateau, toujours présents en tournée, ont aussi participé à la création du spectacle.

Comment se porte le statut profes-sionnel dans les métiers du cirque ?
C’est compliqué de répondre en deux minutes. Je suis assez gêné par le fait que la profession soit financée par les Assedic. Simplement parce que les profs, les fonctionnaires, les professions libérales ne payent pas les Assedic. Donc la profession est payée par une petite partie de la société qui de plus est celle qui ne va jamais au théâtre. Je pense que c’est plutôt au rôle de l’impôt de financer notre culture mais le statut d’intermittent demeure tout à fait précieux et le dernier protocole qui nous est proposé, c’est n’importe quoi. J’ai écrit un texte là-dessus.

Que pensez-vous de la pratique amateur ?
Je viens de la pratique amateur. J’y suis très favorable. Il faudrait revaloriser cette pratique et donner les moyens aux amateurs de travailler. C’est une chose très importante pour le lien social, pour un certain type de créativité différent de la pratique professionnelle. On a aujourd’hui l’illusion que tout le monde peut être professionnel. Mais ce n’est pas parce que l’on n’est pas professionnel que l’on ne peut pas s’exprimer dans l’art, bien au contraire. Pour toutes ces raisons, je pense que la pratique amateur est précieuse pour chaque discipline artistique. Elle est fertilisante. Aujourd’hui existe une confusion qui fait que n’importe qui s’autoproclame professionnel quel que soit son niveau.

Comment faire la différence ?
Ce n’est pas à moi de définir cela. Je regrette néanmoins que l’entrée dans la profession ne soit définie que par la loi du marché, par un certain nombre de cachet, l’inscription aux Assedic.

Que diriez-vous aux personnes qui se tournent vers les arts du cirque ?

Si on a envie de faire quelque chose en artistique, il faut le faire. Vraiment. Simplement pour le faire, pour l’envie et le besoin et non pas pour la projection que l’on s’en fait. Il faut chanter pour le plaisir de chanter, pour le besoin de chanter. L’art part de l’intérieur et doit répondre à des besoins, à des nécessités et du plaisir. Dans les arts du cirque comme ailleurs, c’est d’abord le plaisir d’apprendre, le plaisir de pratiquer, le plaisir de dire avec un média qui peut être du trapèze volant.