Réaction à l’affaire Faure (5 juin 2003) par Bernard Kudlak

Voici un nouveau texte qui est fort loin de "Plic Ploc". En apparence.
Nous sommes souvent en discussion, Dom et moi, sur les limites de définition des textes que je vous envoie.
Je les apprécie de cette façon : il s’agit d’un journal qui coule au fil du temps de la création du prochain spectacle. Un journal, c’est-à-dire, sans fausse pudeur, un travail littéraire accompagnant une création. Un mélange. Travail d’écriveur ou d’écrivain ? Vain débat ! Ce n’est pas la question.
Le journal n’est pas un descriptif journalistique des répétitions, vous vous en êtes aperçu : il s’agit de l’accompagnement d’une pensée, d’une réflexion et si possible d’un style. Pour ce qui suit, c’est un petit texte de colère que j’ai envoyé à des journaux. La justice de classe, ça s’arrête quand ? Et quand elle est ridicule comme le sujet ci-dessous, elle évoque des dérapages qui, s’ils n’ont rien à voir avec cette anecdote, n’en sont pas moins dirigés par les même genres de préjugés de classe. Et ces "dérapages" ont parfois attenté gravement à l’honneur de la justice française (par exemple lors de l’occupation).
Donc :

REACTION A L’AFFAIRE FAURE

"Maitre Faure, avocate à Bergerac, a été relaxée : elle va pouvoir continuer à jouer de l’accordéon sur les marchés. Mais les juges considèrent que la condition de musicien de rue n’est pas vraiment digne."
Les journaux, juin 03.

La justice française est sereine.
Juge est un métier digne.
Digne de juger une avocate indigne. Indigne parce qu’elle pratique un hobby jugé pas très digne. Pas très digne, car ce hobby est - en amateur - la pratique d’une activité professionnelle pas très digne, elle non plus.
Ainsi en a jugé la digne justice française.
L’indigne métier est : musicien de rue.

Autant que je sache, l’indigne métier de musicien de rue n’a jamais eu l’indignité de collaborer avec une des pires barbaries de l’histoire de l’humanité.
Le digne métier de juge a commis cette indignité. Ce qui pourrait être une jauge comme une autre pour juger de la dignité ou non d’un métier.
Cette humaine, trop humaine indignité.
Le métier de juge est de faire respecter une loi humaine, rempart à la barbarie, humaine, hélas si humaine, elle aussi.
Donc je me sens grande solidarité avec mes amis et frères et sœurs musiciens des rues, insultés par ces jugements.
Je me sens également solidaire des juges qui se sentent insultés par ce jugement insultant pour les musiciens de rues.
Peut-être l’association "Hors Les Murs" (association para-ministérielle dont le champ d’activité sont les arts de la rue et du cirque) protestera-t-elle contre ce jugement débile et discriminatoire envers la noble profession de musicien de rue (un peu comme protestent les représentants de l’honorable profession des bouchers quand la presse parle du "boucher de Lyon !).
Quand je dis jugement, je ne commente pas la sentence, mais parle du jugement moral contre la profession de musiciens de rue émis par le juge dans sa conclusion.

Vous avez eu chaud les gars, Patrice Allègre n’a cité aucun musicien de rue comme ayant participé à des soirées barbares entre notables (il n’est d’ailleurs pas prouvé que ces assertions, ainsi que celle des professionnelles du sexe, soient vraies).
Je suis d’accord : l’amalgame, c’est débile ! Et dangereux.
Par exemple, celui d’assimiler une pratique artistique, faite du partage de l’amour de la musique, avec la mendicité, activité par ailleurs autorisée et très morale selon certains codes religieux (les moines des ordres mendiants, par exemple…).
Ou d’amalgamer musiciens des rues avec mendiants, mendiants avec cambrioleurs et cambrioleurs avec ceux qui visitent le bureau du juge Le moine.
Lequel bureau a peut-être simplement été nettoyé. Un peu de propreté dans les bureaux de la justice, c’est vrai, ne fait pas de mal.

Franchement, Messieurs les juges, je ne suis pas sûr que votre boulot soit de dire que votre profession est digne quand la nôtre serait indigne.
Mais même si votre collègue ne peut pas faire sa musique dans la tenue d’avocate, les musiciens de rue, bien que choqués, ne sont pas violents, et contrairement à ce que prétendait Brassens, vous ne risquez rien : nul besoin de gorilles pour vous protéger d’iceux-ci si d’aventure, vous, vous sortiez en robe dans la rue.
Aucun risque de vous faire dévorer par un orgue de barbarie…

Le 5 juin 2003.
Bernard Kudlak
Ancien musicien de rue
Directeur de cirque.