Le Figaro
19 novembre 2018

Un départ de haute voltige

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SPECTACLE Avec « La Dernière Saison », le Cirque Plume fait des adieux joyeux et festifs. Sans nostalgie.

Cirque Plume remballe son chapiteau. La Dernière saison est l’ultime spectacle de l’une des compagnies phares des années 1980. On appelait ça le « nouveau cirque ». Le Cirque Bidon qui donnera Archaos, le Puits aux images qui deviendra le Cirque Baroque, le Cirque Aligre où Bartabas a commencé à galoper avant de créer le Théâtre équestre Zingaro… Plume naît en 1984 en Franche-Comté avec Amour, jonglage et falbalas dans cette effervescence, ce nouveau souffle qui dépoussière les arts de la piste. Un cirque sans animaux, peuplé de drôles de zèbres, poètes, musiciens, autodidactes, préférant la route à l’usine, la liberté à la chaîne.
Plus de trente ans après et une dizaine de spectacles (No animo mas anima, L’harmonie est-elle municipale ? Plic Ploc…), voici venu le temps de plier les gaules et de mettre les voiles avec La Dernière Saison. Bernard Kudlak en est encore le grand ordonnateur, caché dans l’ombre.
D’autres membres fondateurs sont dans la lumière : Pierre Kudlak, son frère et Jacques Marquès, de retour après une longue pause. Tout comme Cyril Casmèze, génial « acrobate zoomorphe ». Il imite le gorille et le cheval comme personne. Au fil des années et des tournées, des artistes de France et d’ailleurs (Argentine, Algérie, États-Unis) ont rejoint la troupe. La fildefériste Natalie Good, le danseur hip-hop Hichem Serir Abdallah, Andrea Schulte (mât chinois) et Analia Serenello (anneau aérien) sont trop jeunes pour avoir des souvenirs et des regrets.
La nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Rangez les mouchoirs. La Dernière Saison n’a rien d’une oraison funèbre. Plume a toujours préféré les mariages aux enterrements. Il dit adieu dans un grand éclat de rire, fidèle à sa réputation de sarabande joyeuse et foutraque. À l’heure où l’art conceptuel et l’esprit de sérieux dominent la piste, Plume persiste et signe.
Emmener la tradition ailleurs
Ils n’ont pas perdu le sens de la tribu et de la fête. Ils aiment toujours se déguiser, en Père Noël ou en skieuse (formidable numéro de contorsion d’Anaëlle Molinario). Ils aiment aussi se mettre en maillots. On les croirait sortis de la piscine du Grand Bain. Des gros, des maigres, des petits, des grands, des corps pour tous les goûts. Le trivial et le clownesque touchent au sublime. Il y a même des baffes qui font rire, comme à la grande époque de l’auguste et du clown blanc. Plume n’a jamais été contre la tradition, il l’a simplement emmenée ailleurs, lui a donné de nouvelles couleurs et de nouvelles sonorités. Dans La Dernière Saison, la musique, composée par Benoît Schick, reste au centre du jeu. Les percussions et les cuivres mènent la danse.
Au contraire du Cirque du Soleil, Plume n’a jamais voulu devenir une multinationale produisant plusieurs spectacles en même temps sur les cinq continents. Trop peur d’y laisser des plumes, d’y perdre son âme. Il a préféré voyager et a planté son chapiteau dans de nombreuses villes et de nombreux pays. Il continuera à le faire puisque La Dernière Saison tournera pendant au moins deux ans. Après, comme Cyrano, Plume emportera son panache.

Étienne Sorin