Notre histoire

C’est trop long ! C’est pas un roman, c’est un historique qu’on te demande !
J’aurais bien commencé comme Albert Cohen par : "O mon vieil ancêtre unicellulaire, petit solennel réceptacle de cette vie très ancienne, vie qui est maintenant mienne et le legs dont je suis le bénéficiaire au bout de millions ou milliards d’années…"…mais je sens bien que ça risque aussi d’être un peu long.
Qu’avez-vous fait, me demandez-vous, que s’est-il passé ? Comment ça c’est passé ?
Vite. Ça c’est passé vite. Un peu comme pour vous j’imagine.


Prologue


Le vrai début c’est dans nos têtes, chacun la sienne, nos rêves insensés, nos refus, nos refuges.

Qu’allons-nous faire de nos rêves, nos utopies ? La fête !
L’esprit de la fête est présent partout.
La fête parce que le désir, le vivant plus fort que les idéologies et la consommation.
"La fête cette hantise" titre un numéro de la revue "Autrement" en 1976.
Aujourd’hui, on entend dire que ces jours heureux et mouvementés étaient ceux d’une parenthèse enchantée.
Parmi tous les désirs qui traversent notre vie - et Dieu sait qu’il y en a - celui de changer la vie est un moteur puissant.

Tout commence à Besançon cinq ans avant la naissance du Cirque Plume.
Par la rencontre sur une péniche dans une fanfare de quatre des fondateurs - toujours présents - de la compagnie.
Par une envie de saltimbanque et d’art du cirque, impulsée par "L’atelier du marché" et par un apprentissage des techniques du jonglage dans un livre pour enfants.
En 1980, tous ceux qui vont créer le Cirque Plume participent au sein de diverses compagnies à "La falaise des fous", mythique festival jurassien fondateur du renouveau des arts de la rue. Puis nous créons des spectacles de rue, mélangeant déjà la musique aux techniques de cirque, au boniment, au théâtre, à la danse, que nous donnons dans les fêtes rurales, les rues des villes et les petits théâtres. La manche en été, sur les places publiques, complète notre économie modeste et remplit nos têtes du romantisme nomade de la Strada, du Capitaine Fracasse et autres hercules sur la place.
En 1983, nous nous appelons alors "Fanfare Léa Traction", "La Gamelle aux étoiles", et "Le magicien de balle". Nous répétons dans une grange à Chay (25) et dans les couloirs d’une MJC à Besançon-Palente. En décembre, nous créons sous le chapiteau du "Théâtre des manches à balais" à Besançon "Amour, jonglage et falbalas", un spectacle réunissant tous nos acquis et nos savoir-faire.

Nous venons d’ouvrir les coffres et les malles du cirque. À l’intérieur repose un trésor.


Chapitre 1
1984 - 1990


Au regard des ruines des espérances politiques, après Sartre, Guy Debord, L.I.P., les fêtes sur le Larzac, les spectacles du Bread & Puppets Theater, Gong, Soft Machine et Grateful Dead, l’herbe à nigaud, le Grand Magic Circus, les manifs, les belles années de la révolution sexuelle, les copains partis si tôt, ceux qui n’ont pas trouvé à enchanter leur vie et sont passés de l’autre côté, …nous cherchons un chemin buissonnier.

Nous sommes 9 : Hervé Canaud, Michèle Faivre, Vincent Filliozat, Jean-Marie Jacquet, Bernard Kudlak, Pierre Kudlak, Jacques Marquès, Robert Miny et Brigitte Sepaser.


L’année 84 débute par une réunion, où Bernard Kudlak propose de créer un cirque, un projet qui réunirait l’esprit de la fête, la politique, le rêve, les anges vagabonds, le voyage, la poésie, la musique, les corps, dans une envie fraternelle, non violente et populaire. Le Cirque Plume.

Affiche du spectacle Amour, jonglage et falbalasUne ébauche de tournée existe déjà. Notre spectacle "Amour, jonglage et falbalas" est fragile, amateur, innocent.
La moitié de la troupe travaille "à côté", l’autre ne fait "que ça".
Nous avons rapidement besoin de nous lier aux "vrais circassiens"et embauchons des artistes extérieurs au groupe fondateur.

Nous habitons en Franche-Comté sur le dos de la Vouivre, pays de forêts, de coopératives, et d’utopies : après une première rencontre, nous bénéficions du soutien immédiat du Conseil Régional.

Nous achetons un matériel à faire cauchemarder une commission de sécurité. On peint, on colle, on soude, on cloue, on rêve tout debout, on s’entraîne un peu, pas assez.
Nous devenons producteurs, monteurs, chauffeurs, afficheurs, administrateurs, chercheurs de subventions, animateurs, profs de cirque, éclairagistes, metteurs en scène, musiciens, artistes de cirque. Pour la cuisine, nous établissons des tours de rôle. Deux enfants en bas âge et quelques chiens sont de la tournée.
Première sortie du convoi : au retour, la remorque du chapiteau est immobilisée, interdite de rouler. Nous en commandons une neuve, et notre premier poids-lourd avec.
Le Cirque Plume, alors, ne se distingue pas des petits cirques itinérants, sinon que nous avons l’air beaucoup plus misérable, avec notre chapiteau pourri mal monté, nos caravanes "Nottin", et nos "Tubes" Citroën trois vitesses - rallongés - rehaussés, repeints en bleu du ciel quand il apparaît à l’horizon entre deux nuages blancs. Comme pour les manouches, à chaque village derrière le convoi bleu pâle, suit une camionnette bleu foncé, dont les occupants tentent de contrôler nos identités. Belles palabres !

En 86, le festival "off" d’Avignon consacre notre entrée dans le cercle des compagnies professionnelles reconnues.
Deux ans après, à ce même festival, nous faisons monter pour la première fois notre chapiteau par une équipe spécialisée : nous restons dans les caravanes morts de honte, à guetter par les fenêtres, encombrés de nos bras vides et nos têtes tournant trop vite. Ça nous passera !
Plus tard, ailleurs, les huit associés décident que chacun ferait le travail pour lequel il est le plus compétent. Ça n’a l’air de rien, c’est une révolution.
Au cours de cette période, nous achetons successivement quatre chapiteaux, trois gradins et pas mal de véhicules. Pour le spectacle, nous sommes devenus autonomes en son et en lumière.

Administrativement, nous mettons en place des formules qui correspondent à notre réalité jusqu’à l’embauche d’un administrateur en 88.

Affiche Spectacle de Cirque et de MerveillesA la suite de notre premier spectacle sous chapiteau "Amour, jonglage et falbalas" (joué essentiellement dans la grande région), nous créons en 88 "Spectacle de Cirque et de Merveilles", qui sera joué dans toute la France, et un peu à l’étranger, en Tunisie, au Maroc, en Belgique, ainsi qu’en Suisse (où nous faisons changer une loi protectionniste interdisant le séjour des cirques non helvétiques...)
Nous montons de nouveaux numéros, nous soignons la mise en scène et les costumes. Tout le monde est "pro" maintenant et nous commençons à nous payer régulièrement.
À partir de ce moment, Robert écrit des musiques originales pour tous nos spectacles. Brigitte crée son premier numéro de fil sur lequel Michèle chante déjà.

À Paris, la presse nationale parle de nous.
Nous sommes encore partagés entre les animations et les spectacles sous chapiteau. Nous délaissons alors les premières au profit des seconds.
Nos chapiteaux sont assez petits et entrent dans des lieux insolites : le palais du Cardinal Granvelle à Besançon, la Corderie Royale de Rochefort, le parvis de la mairie de St Gilles à Bruxelles, les Salines royales d’Arc et Senans…
En décembre 88, nous le montons dans les Arènes de Lutèce. Quand la nuit tombe sur Paris, le premier croissant de lune apparaît au-dessus de la toile et des immeubles. Dans le relatif silence du parc, sur un arbre, à côté des caravanes, chante une hulotte. Bel accueil pour les ploucs ! Merci Paris.

Je me souviens d’une ville où nous invitions un vieil homme, qui vivait dans une caravane déglinguée à côté de notre campement, à assister chaque soir à la représentation. Dans "Spectacle de Cirque et de Merveilles", un personnage cherchait une boule de lumière sans voir qu’elle était derrière lui. Les enfants dans le public scandaient : "Derrière !! Derrière !!". Le vieil homme s’était alors levé de son banc furibard et avait hurlé : "Sacré con d’abruti, elle est derrière toi, idiot, ça fait dix fois que j’viens, et c’est tous les soirs pareil !!"…puis il s’était rassis.

En 89, Bernard et Robert créent un spectacle jeune public pour deux artistes, "Le jongleur de l’arc-en-ciel", sélectionné au Festival de Bourges.
Une tournée marocaine consacre la fin de cette période : nous sommes 20 permanents, nous venons d’obtenir le "Grand prix national du cirque 90" décerné par le ministère de la Culture, et nous nous préparons à un nouveau spectacle.
La compagnie est gérée par une société, dont les associés sont 8 des fondateurs (Hervé n’a pas souhaité faire partie de l’aventure).
Durant cette période, nous avons appris des techniques de cirque, musicales, à administrer, conduire, gérer, construire. Nous avons surtout appris à nous parler…
Puis viennent les années de maturité.


Chapitre 2
1990 - 1998


L’idée du nouveau cirque est bien installée en cette année 90. Nous faisons partie du conseil d’administration de l’Association Nationale de Développement des Arts du Cirque (A.N.D.A.C.).
Durant cette période, la Région de Franche-Comté continue de nous aider, l’État s’y met de plus en plus, la Ville de Besançon et le Département du Doubs un peu.
Ces subventions représentent bon an mal an 15% de notre budget.
Artistiquement, nous nous éloignons, au cours de cette période, de la structure du cirque traditionnel qui servait de base à nos premiers spectacles, pour affirmer notre style.
Plus que jamais nous sommes une troupe.
Nous réalisons ce que nous avons toujours rêvé : le brassage, le mélange de tous les publics, en gardant une exigence artistique sans concession, dans un esprit d’éducation populaire.
Mais vous vous en doutez bien, tout ne va pas comme sur des roulettes…

Affiche du spectacle Nouvelle création {JPEG}Nous sommes en automne 90 : nous changeons le matériel, le spectacle et la méthode de travail, nous augmentons le nombre d’artistes, de techniciens, d’administratifs, et…nous gardons notre style.

Tout ceci est un pari aussi fou que de créer un cirque.

Nous achetons d’occasion un chapiteau bleu de 850 places qui servait de théâtre. Un grand théâtre abandonné dans le midi de la France. Nous y répétons notre "création 90" à Meylan (38). Bernard écrit le spectacle aidé de Vincent… Discussions sur la notion d’auteur : nous passons de la création collective dirigée à un projet personnel dans lequel les artistes prennent leur part.

La proportion d’artistes extérieurs devient plus importante qu’auparavant et Nadia réalise tous nos costumes pour la première fois.
Ce spectacle – où Bernard crée son premier numéro d’ombres - débute sur un trait blanc dessiné sur un fond noir, et se termine par l’explosion plein-feux de toutes les couleurs du spectre, apparues les unes après les autres.

C’est un moment où nous affirmons le cirque tel que nous le vivons dans l’instant.

Ça commence assez fort, vu que la première représentation est annulée : les gradins neufs ne sont pas finis !
Nous jouons le lendemain. Une première chaotique, techniquement terrible, sono en panne, accessoires ne fonctionnant pas, etc.….
Mais le surlendemain, à la deuxième, nous avons la certitude d’avoir artistiquement gagné.

Affiche du spectacle No Animo Mas Anima {JPEG}Puis nous créons une nouvelle version pour l’année 91, où le projet initial fait la part belle aux nouveaux arrivés : Cyril (l’"homme-chien" qui fait grande impression !).

La "création 90" prend son titre définitif : "No Animo Mas Anima" à Paris, au Parc de La Villette. Nous découvrons la cour des grands.

Nous mettons le paquet pour faire connaître ce spectacle, et cela marche : les acheteurs de France et d’Europe veulent le programmer, la presse est enthousiaste, nous avons une pêche d’enfer.
Donc tout baigne ? Nenni ma foi, c’est juste une petite arithmétique : nous avons dépensé trois millions de francs pour cette opération, en location de terrain, en publicité, en technique, en salaires et….nous n’en avons gagné que deux ! !

Dans un cas pareil, on fait quoi ?

On ferme la boutique ou on attend un miracle… Et figurez vous que le miracle arrive.
Sous forme d’une commande du Palais Omnisports de Paris Bercy, un spectacle de Noël qui rassemblera 240.000 spectateurs en 10 jours.
Cela décide les banquiers à nous prêter de quoi continuer : nous croulons sous les emprunts, mais nous avons devant nous plusieurs années de travail en perspective.

Nous devons structurer cette entreprise qui grossit, sans renier nos envies. La parole, la concertation et l’espace de discussion sont plus que jamais nécessaires. Et ainsi va l’année 92, qui voit se terminer la tournée de "No Animo Mas Anima" (un total de 223 représentations devant 125. 000 spectateurs).

Affiche du spectacle Toiles {JPEG}En 93, création de "Toiles" : dans un chapiteau abandonné (celui que nous avons trouvé dans le midi…) se croisent, se rencontrent des personnages, des cartons, des voiles, des ombres géantes. Nous ne racontons pas une histoire, mais des histoires.
Nous attaquons les répétitions avec gourmandise. Parmi les fondateurs, Jean-Marie crée son premier numéro de magie et Jacques dresse Zippo le chien. Vincent quitte l’équipe artistique tout en restant associé.

Pour l’écriture de ce spectacle, Bernard reçoit une bourse de la "Fondation Beaumarchais", et la musique de Robert fait l’objet d’une commande d’état.
C’est un succès à La Villette.

En août 94, "Les Plume font leur Cirque", documentaire sensible de Christophe De Ponfilly, passe à la télé en "prime time". Selon les mesures d’audience, c’est le flop de la semaine ! Mais 1.555.000 téléspectateurs entendent parler ce soir-là du Cirque Plume. Nous sommes épatés.

14 enfants naissent en 95, et nous faisons une deuxième version de "Toiles" : les femmes font des enfants, et il faut changer le spectacle. Et puis des artistes se blessent, d’autres se lassent.
Nous terminons la tournée ("Toiles 2") avec 6 nouveaux. Malgré cela, la troupe est remarquablement stable.

C’est à partir de "Toiles" (350 représentations devant 265.000 spectateurs) que les festivals européens nous ouvrent leurs portes (Allemagne, Danemark, Espagne, Finlande, Grande-Bretagne, Irlande, Pays-Bas, Portugal, Suède …)

Affiche du spectacle L'harmonie est-elle municipale ? {JPEG}Nous créons "L’harmonie est elle municipale ?" à Salins-les-Bains, dans le Jura, en juin 96, sous un grand chapiteau jaune de 1000 places flambant neuf, prototype original confectionné à notre main. L’investissement artistique et technique est à la mesure de nos ambitions. Bernard ne joue plus dans ce spectacle, qu’il écrit et met en scène : une fanfare de 6 hommes rencontre un groupe de 6 femmes qui habitent l’espace du chapiteau. Au fil des tableaux, ils cherchent sans fin le bonheur, l’harmonie… Michelle et Brigitte reviennent de leur congé de maternité, Jacques nous quitte (mais reste associé).
La première officielle (mondiale on dit !) se déroule à Munich, et nous repartons pour deux ans et demi de tournée. La critique salue le spectacle, et le public se presse sous le chapiteau.
Nous achevons de jouer "L’harmonie est elle municipale ?" en grande beauté à Lyon en décembre 98, après l’avoir présenté 278 fois devant 250.000 spectateurs.

Déjà le projet de "Mélanges (opéra plume)" est en route, le casting et les désirs en place.
Parallèlement à tout cela, Bernard met en scène en 97 une "petite forme" d’après Victor Hugo, "La plume de Satan", et en 98, il reprend, avec Robert pour la musique, l’idée du "Le jongleur de l’arc-en-ciel" qui devient un opéra pour 3 jongleurs, une soprano, un ténor, chœurs d’enfants et orchestre, créé au Palais des festivals de Cannes et à l’Opéra de Nice en juin de la même année.


Chapitre 3
1999 - 2008


Affiche du spectacle Mélanges (opéra plume) {JPEG}1999, dernière année du millénaire… : un nouveau chapitre de notre histoire s’ouvre au cours de ce premier semestre, pendant les répétitions de "Mélanges (opéra plume)" à Salins-les-Bains (39).

Nous essayons de mélanger tous les arts en piste - ce qui constitue notre identité - mais essayons aussi d’aller voir dans d’autres territoires, comme celui de la danse. Après presque un semestre de répétitions, le spectacle n’est pas artistiquement au point quand nous le présentons en avant-première à Salins-les-Bains. Malgré cela, grand enthousiasme à Recklinghausen (D) pour les premières officielles. Jacques (qui joue l’ange), se blesse au Portugal en juillet, nous contraignant à jouer un spectacle amputé…"the show must go on !!!".
Mais avec tout cela, les critiques suivantes aux Pays-Bas sont mitigées, voire négatives. C’est une épreuve à traverser. Pour présenter comme prévu le spectacle en automne à Paris à La Villette, nous remplaçons l’ange, en raison de sa blessure. Et c’est l’avant-veille de la générale que Sophie, notre trapéziste, se blesse aussi : le sort semble s’acharner sur ce spectacle… Branle-bas de combat ! ! On lui trouve une remplaçante. Le spectacle se met en forme (on le tire plus vers l’esprit Plume que vers la recherche initiale) et tout est en place pour la première parisienne. Les critiques sont élogieuses. Quelques intellos du cirque qui nous boudaient ne nous boudent plus… La tempête du 26 décembre nous cueille avant le jour : tous les chapiteaux parisiens souffrent, mais le notre résiste vaillamment (notamment grâce à notre technique de montage). Juste à côté, on regarde s’envoler le toit de la Grande Halle.

On arrive ainsi à l’an 2000, qu’on attendait depuis l’enfance. Contrairement aux attentes, les facteurs ne distribuent pas le courrier en hélicoptère. Nous travaillons avec des artistes qui pourraient êtres nos enfants. Ça tourne !!

2000 est une année comme les autres (on vous épargnera toutes les merdes de la planète) : pour nous, c’est un calendrier de tournée chargé avec une équipe un peu renouvelée. Jacques et Sophie (les accidentés absents à Paris) reviennent prendre leurs places. Ça tourne… Bernard prend 6 mois sabbatiques pour finir l’écriture d’un livret pour spectacle chanté, faire de la sculpture et penser à la suite de la compagnie. Le projet d’opéra ne se fera pas.

2001. Nous tournons en France, à Madrid l’inorganisée, et en juillet l’événement sur lequel, en raison des difficultés techniques, nous avions travaillé plus d’un an et demi : le franchissement de l’Atlantique pour une série de représentations à New York, à l’invitation du Lincoln Center Festival, avec 10 containers de matériel et une technique de montage de notre chapiteau originale, puisque nous le montons sur Damrosch Park (à côté du Metropolitan Opera) sans planter une seule des 360 pinces normalement indispensables pour le faire tenir debout (vous pouvez trouver le détail en ligne du carnet de route de Bernard à New York ).
Le soir de la première, Jacques se blesse (encore…) en même temps que Fanny, une autre de nos artistes : du jamais vu ! Nous annulons une représentation pour adapter le spectacle (notre ange jouera avec une béquille…), et c’est le succès (très bonne critique du New York Times). En septembre, moins de 2 mois après qu’on y ait joué, les fous fanatiques descendent les tours jumelles. Le monde est médusé. Nous aussi.

Parallèlement au Cirque Plume, suite à la rencontre avec Raoul Lay (directeur musical de l’Ensemble Télémaque), Bernard met en scène "Variété", spectacle alliant cirque et musique contemporaine sur une partition de Mauricio Kagel : la création se fait à Nice, puis la tournée de ce spectacle passe par la Cité de la Musique à Paris, en présence deux soirées de suite du compositeur enchanté.

C’est en décembre au Mans que sont jouées les dernières de "Mélanges (opéra plume)". On y fait la fête : ce spectacle aura été joué 301 fois devant 274.000 spectateurs.
Les pertes occasionnées par notre série de représentations madrilènes nous ont fragilisés financièrement pour produire une nouvelle création. Bernard propose alors le projet de "Récréation", un florilège de nos précédents spectacles : parallèlement à une tournée essentiellement en théâtre, les choix faits pour ce spectacle doivent permettre de dégager des temps de recherche artistique indispensables à la future création.

Affiche du spectacle Récréation {JPEG}2002 : Les répétitions de "Récréation" commencent dès fin janvier.
Nous sommes enchantés de fouiller nos malles à trésor. Nous décidons d’ajouter un élément peu présent dans nos spectacles : la parole. Nos amis du "Théâtre de l’Unité" aident chaque artiste à accoucher d’un texte intime, d’une "parole de vérité", dit au cours du spectacle.
Nous accueillons plus de 14.000 spectateurs pour les premières de "Récréation" à Besançon, que nous faisons coïncider avec "1,2,3 Cirque" ! (manifestation phare de "l’année du Cirque", une opération nationale à l’initiative du Ministère de la Culture).
Au hasard de cette tournée, beaucoup de nos anciens artistes viennent jouer un ou deux jours : c’est du plaisir de repartager la scène avec eux, devant un public toujours chaleureux.

Comme prévu, nous dégageons entre les dates de la tournée beaucoup de temps pour le travail de recherche de "Plic Ploc", la future création prévue pour le printemps 2004 (vous pouvez en trouver les "extraits du carnet de création" ici).
À l’automne, sous notre petit chapiteau monté à Salins les Bains pour travailler "Plic Ploc", quelques intuitions de Bernard sont soumises à l’épreuve du réel : les métronomes, la bâche transparente, les jets d’eau au sol et du plafond…
Parallèlement, en septembre, le spectacle "Variété", sur les musiques de Mauricio Kagel, fait l’ouverture du festival international de musique de Besançon ("chez nous", comme nous aimons le dire). C’est pas le Cirque Plume, mais notre metteur en scène est bien content quand même !
À la reprise de la tournée de "Récréation" en novembre, nous rejouons pour la première fois depuis 8 ans dans un théâtre, et cela nous plaît beaucoup. Après un premier semestre 2002 en chapiteau, le deuxième trimestre est en théâtre : à chaque endroit son plaisir.
Début 2003, c’est avec le soleil sur le port de La Rochelle que nous jouons dans la grande salle de La Coursive, la scène nationale de la ville (nous adorons cette salle, au volume idéal pour nos types de spectacle et son rapport au public).

De retour, nous montons notre grand chapiteau à Salins les Bains et reprenons notre travail de défrichage et de recherche pour le prochain spectacle. Tout au long du mois de mars, nous y faisons en même temps les auditions des artistes qui postulent, que nous organisons et vivons comme une vraie rencontre, en les intégrant au travail de recherche et de préparation en cours. Même ceux qui n’ont pas été retenus nous disent avoir apprécié cette manière de faire, inhabituelle pour des "auditions". Les artistes que nous avons reçus étaient tous talentueux, mais il nous a fallu choisir… Fin mars, nous connaissons l’équipe artistique de "Plic Ploc".
Au même moment, dans le monde, Bush Junior part en guerre. Ça nous désole.

En avril, c’est reparti pour "Récréation" : à Bruxelles (où en regardant les sièges vides du grand Cirque Royal, endormi avant la représentation, nous rêvons que Sitting Bull y a joué avec le "Buffalo Bill Show"), à Salins les Bains (où nous avons eu un bogue informatique de la console lumière le jour de la première que nous avons dû annuler... c’est le pire qui puisse arriver ! Mais dès le lendemain, Wahou quel accueil ! Merci "les pays"…), à Nantes, dans l’immense "Cité des congrès" (une spectatrice nous écrit qu’elle a pleuré à chaudes larmes pendant la représentation), au festival de Recklinghausen (le dernier du nom après 50 années de bons et loyaux services sur le territoire de la Ruhr. Nous écopons là-bas du plus gros des orages, qui inonde furieusement le chapiteau pendant le spectacle. "Plic Ploc", déjà...).

En juillet, en pleine annulation des festivals, Bernard écrit un texte sur les intermittents du spectacle qui fait le tour des Assemblées Générales. Il y pose la question "Pourquoi seuls les salariés du privé financent-ils l’intermittence du spectacle, et donc la culture de notre pays ?". La question intéresse, mais personne ne veut répondre…
En août, c’est la canicule qui fit tant de morts en France par négligence et manque de moyens. Eté studieux : Jean-Marie travaille à la conception du dispositif scénique de "Plic Ploc" et trouve le bon système pour faire jaillir et récupérer l’eau, en toute sécurité.
Septembre, octobre : nous sommes de nouveau en tournée. A Caen, où le Cirque Plume n’avait jamais joué auparavant, le directeur du théâtre nous glisse à l’oreille, en voyant la réaction du public : "C’est comme si tous ces gens qui ne vous avaient jamais vu, attendaient avec impatience votre retour…". Définitivement, cette re-création est bien pour nous une récréation !

Puis, de nouveau, nous remontons notre chapiteau (indispensable si nous voulons créer, puisque nous n’avons toujours pas de lieu fixe adapté aux nécessités de notre travail artistique) : nous y inaugurons notre système aqueux et répétons avec la troupe presque au complet. Le rythme est serein, la dynamique en place… nous avançons, comme nous l’avions prévu.
C’est novembre et nous admirons l’éclipse totale de lune au dessus du chapiteau. C’est beau.

L’année 2003 se termine en tournée et en beauté : notre "Récréation" a été jouée 137 fois pour 130.000 spectateurs heureux de découvrir ou de retrouver les essentiels de notre compagnie.
Nous sommes satisfaits de notre nouvelle méthode de travail, qui consiste à mélanger les tournées théâtre et chapiteau pour nous laisser du temps de recherche : "Plic Ploc" est prêt à passer en phase de réalisation.

Affiche du spectacle Plic Ploc {JPEG}2004 : C’est parti pour "Plic Ploc" ! Nous remontons notre chapiteau (la 5ème fois pour travailler ce spectacle) et installons notre campement et toute la technique pour 3 mois, toujours à Salins les Bains. L’équipe est très motivée, le travail avance bien, dans une ambiance studieuse et paisible. Mais début mars, c’est la tuile (les tuiles même…) : Martin, un de nos acrobates québécois, a des ligaments déchirés (mal diagnostiqué suite à un accident passé) et ne peut donc pas continuer les répétitions. Et comme il travaillait en duo, nous les remplaçons tous les 2. À 2 mois de la création… Dans le même temps, notre clown-batteur a des problèmes d’épaule et doit répéter un bras en écharpe plusieurs semaines consécutives ! "Plic Ploc" aurait-il la poisse ?
Que nenni, car le spectacle continue à se mettre en place.

La création se construit pas à pas, faite d’écoutes et de rigolades (tous les détails dans les "carnets de création" et sur DVD dans "In Progress", le documentaire "bonus" filmé dans les coulisses de la création).
Pour la première fois de notre histoire, le spectacle est prêt trois jours avant la première : notre nouvelle méthode de travail artistique est vraiment celle qu’il nous fallait.
Nous partons alors en tournée, avec notre plaisir de jouer et nos cataractes de flotte, terminant l’année au soleil de Lisbonne, dans le grand théâtre du Centro Cultural de Belem.

Parallèlement, Jean-Marie publie son premier roman "Le rire du pendu" (Editions Aréopage).

2005 : À Besançon, où nous avons déjà présenté 1" en octobre 2004 à 16 000 spectateurs, nous revenons en avril pour répondre à la demande du public. Ce sont plus de 27 000 personnes au total qui auront partagé notre bonheur d’y jouer cette création !

Nous jouons 20 représentations à Namur en Belgique, puis 50 représentations à Paris-La Villette, avec un taux de remplissage approchant les 100%. Le public nous dit à la fois y retrouver ce qui fait l’essence des spectacles de Plume et être en même temps surpris par le renouvellement d’inspiration, après plus de 20 ans de création circassienne.

Un bâtiment pour le Cirque Plume

En janvier, notre président de région relance l’idée d’un lieu en dur pour notre compagnie (une salle de recherche et d’entraînement, pour pouvoir travailler et transmettre) en proposant de construire un bâtiment où nous côtoierions le nouveau Frac (Fond Régional d’Art Contemporain) de Franche-Comté, un projet architectural où se mêleraient art contemporain et arts du cirque. Nous rencontrons dans la foulée le maire de Besançon qui est d’accord pour se rallier à cet ambitieux projet.

Mais après une brève étude, nous devons décliner la proposition du président Raymond Forni qui ne correspond pas à nos besoins importants en espace (terrain trop petit).

Malgré tout, cela a relancé notre désir d’un bâtiment, qui nous permettrait enfin de disposer d’un outil pour travailler nos spectacles.
Nous cherchons d’autres endroits sur Besançon, sur le canton de Salins les Bains également.
Nous rêvons d’un bâtiment simple, de facture écologique.


En tournée au Havre, Maëlle se blesse. C’est sans gravité, mais elle est remplacée au pied levé avec brio par Hugues ("Pedro"). C’est le début d’une longue collaboration.

Les carnets de création de "Plic Ploc" de Bernard, illustrés par des photos d’Anthony Voisin, paraissent en librairie au mois d’avril (Editions du Layeur).
"Au nom de l’esprit", le second roman de Jean-Marie paraît en mai (Editions Aréopage).

En été, nous jouons en Belgique à Bruges la belle. Et à São Paolo (Brésil), où l’accueil est très chaleureux : les Brésiliens sont sympas, gentils, prévenants. La ville immense. De grands panneaux publicitaires nous annoncent ça et là.
Nous tournons en France tout l’automne.

En décembre, sort le premier livre de Robert : "Petite poérésie à l’usage des vents et marées" (Éditions du Vendredi).

2006 :
Un bâtiment pour le Cirque Plume (suite…)

En janvier 2006 la ville de Besançon nous propose l’endroit rêvé pour construire notre lieu de travail : sur les anciennes arènes de Besançon, où nous avons l’habitude de monter notre chapiteau quand nous jouons dans notre ville.
En février, le président du département du Doubs nous propose de travailler à notre installation dans un bâtiment des Salines Royales d’Arc et Senans.
Les deux lieux sont en concurrence.

En ce qui concerne Besançon, nous nous inquiétons des éventuels problèmes de classement du site. Mais le directeur technique de la ville nous affirme avoir levé tous les obstacles à ce sujet. Forts de ces garanties, nous faisons le choix de travailler avec la ville de Besançon et décidons en conséquence d’abandonner le projet à Arc et Senans du Conseil Général.
Grossière erreur…
Au festival d’Avignon, Bernard, avec le maire de Besançon, rencontre le Ministre de la culture pour évoquer quelques détails à résoudre.
Le 10 octobre 2006 : les architectes des bâtiments de France et des monuments historiques réunis nous signifient leur totale opposition à toute construction sur le site des arènes, car le lieu est en fait classé à plusieurs titres…
Nous avons l’impression de nous être fait rouler dans la farine.
Le département du Doubs sollicité n’a pas souhaité reprendre le dossier que nous avions décliné.

Le projet de construction d’un bâtiment est abandonné.

Nous resterons des nomades. Fin de tout projet d’installation sédentaire. Gros coup de blues pour notre directeur artistique.

Nous nous recentrons sur le travail de recherche du prochain spectacle et la tournée de "Plic Ploc". Nous jouons 107 fois cette année-là, dont une série de 20 représentations lyonnaises en décembre, à la Maison de la Danse, à guichet fermé plusieurs mois avant la première. Michèle, la secrétaire générale, nous confie être impressionnée par la ferveur du public qui fait la queue dès tôt le matin dans l’espoir de décrocher une place : "Je pensais que c’était seulement pour Johnny, ce genre de phénomène !". Cela nous fait sourire. Oui, on a un super public !

2007 : Début de l’année en tournée toujours en France.

En avril, à la Chapelle sur Furieuse, nous commençons une phase de travail de recherche et d’audition d’artistes, dans un petit studio que nous avons équipé pour l’occasion (car trop cher de monter le chapiteau pour cette phase de "débroussaillage" + aucun lieu de travail fixe, voir plus haut !). Le prochain spectacle devrait s’intituler "L’atelier du peintre".

À Marseille, en juin, pour une série de 20 représentations à guichet fermé sous notre chapiteau monté au "J4" face à la mer, les ferries qui partent pour la Corse rythment chaque jour le début des représentations. Les voiles blanches d’un vaillant trois-mats y voisinent avec la toile jaune de notre 6 mats. Pierre en saisit une image évocatrice qui fera notre carte de vœux de l’année suivante.
En septembre nous sommes à Epinal pour l’ouverture de la première saison d’un nouvel organisme culturel (Scènes Vosges), et au théâtre de Roubaix en octobre.
Nous reprenons le travail de recherche de "L’atelier du peintre" en novembre, toujours dans le studio de La Chapelle. Nous continuons les rencontres d’artistes pour compléter notre équipe.

Parallèlement, Bernard écrit et crée "Le cabaret des valises" avec l’ensemble Télémaque.

En décembre, nous jouons à l’Auditorium de Dijon, qui n’accueille habituellement que de la musique classique, impressionnant de luxe et de grandiosité.

2008 : Pendant les tournées, nous habitons les villes, les citer toutes serait fastidieux. A chaque étape, pour une semaine, quinzaine ou plus, nous rencontrons ou retrouvons des personnes, des lieux, bars, librairies, restos, musées, cathédrales ou bords de mer. Au fil des années, chacun de nous se fait une géographie intime de la France et de l’Europe.

Nous montons le chapiteau en mai à Salins les Bains pour travailler de nouveau à "L’atelier du peintre". Pierre en profite pour y tourner un court métrage titré "Tempus Fugit". S’ensuit une série de représentations salinoises de "Plic Ploc".

L’été est tranquille, Bernard installe un atelier de peintre dans le studio de La Chapelle et met le doigt dans la peinture, c’est tout le bonhomme qui y plonge (ce n’est pas fertile pour le spectacle proprement dit !.. si ce n’est le tableau qui fera l’affiche).
Invité par le Helsinki Festival avec notre chapiteau, ce sont nos 10 semi-remorques qui prennent le bac pour traverser la mer Baltique. Bel accueil du public finlandais. Nous profitons de cette virée nordique pour prendre un sauna.

"Secrets" (Éditions du Vendredi), le 3ème roman de Jean-Marie paraît en septembre.

En novembre, nous travaillons pendant 3 semaines à la Commanderie, à Dole (Jura) : c’est la première fois dans notre histoire que nous avons un lieu fixe à notre dimension pour un travail de création (ce sont les 25 premières années les plus difficiles !).
Nous jouons les dernières de "Plic Ploc" à Clermont Ferrand.
Champagne !

Contrairement aux précédentes, cette tournée aura été essentiellement française. Les temps changent…
"Plic Ploc" aura été joué 398 fois devant 395.000 spectateurs.


Chapitre 4
2009 - 2012


Affiche du spectacle L'atelier du peintre {JPEG}2009 : Année de création de "L’atelier du peintre".

Nous réinstallons notre chapiteau à Salins les Bains pour 4 mois, pour la réalisation de "L’atelier du peintre".
Artistes, régisseurs, costumiers, constructeurs, cuisinières, scripte, metteur en scène se retrouvent ainsi, tous ensemble une fois tous les 3 ou 4 ans, pour travailler, échanger, créer. Rencontre des âges, des compétences, des caractères… nous faisons connaissance avec les nouveaux venus.
Au total, c’est une équipe forte de 92 personnes qui œuvrent à cette création.


Nous y faisons les avant-premières, puis partons en juin jouer à La Coursive - scène nationale de la Rochelle - notre unique coproducteur, et en juillet au festival du "Printemps des Comédiens" à Montpellier : nos premières officielles, en salle et sous chapiteau.
Après quelques représentations à la Commanderie de Dole, nous installons chapiteaux et campement à Paris, au Parc de la Villette. Cela fait longtemps que nous y présentons nos créations au public parisien : nous calculons que les plus anciens de notre équipe y auront vécu, toutes périodes cumulées, plus de 2 ans…
Les premières parisiennes sont difficiles, nous ne sommes pas à notre meilleur pour ce spectacle. Contrairement à la presse de l’été, celle de l’automne, parisienne, ne nous ménage pas. Dans ces critiques, il y a beaucoup de justesse. Cela nous sert : nous remettons notre ouvrage sur le métier, avec l’aide de nos amis du théâtre de l’Unité. En nous recentrant sur ce qui fait l’essence artistique de notre compagnie, nous resserrons le spectacle de 20 minutes.
Nous faisons chapiteau comble, pour la plus longue série de représentations (60) du Parc de la Villette.
Ouf !

Affiche n° 2 du spectacle L'atelier du peintre {JPEG}2010  : Ce siècle a déjà 10 ans. Au printemps nous retrouvons notre Besançon, vieille ville espagnole, et notre cher public franc-comtois, pour un mois de spectacles. C’est un rendez-vous trisannuel que nous goûtons particulièrement : plaisir de jouer pour la famille, les amis, les spectateurs fidèles et les nouveaux : 19.000 personnes.

Actes Sud / CNAC publie "Cirque Plume" de Gwénola David, un livre d’entretien avec Bernard.

La crise annule les représentations de Lisbonne et d’Athènes, pas celles des Pays-Bas. Nous faisons une belle tournée française.
À Rezé les Nantes, nous retravaillons le spectacle pour l’arrivée de Diane qui remplace Chelsea dans l’équipe artistique. Notre maestro ayant été victime d’un accident routier en septembre, c’est Benoit (son suppléant) qui prend en charge la musique de Diane.
En décembre, à Voiron, la première est difficile en raison du cumul de plusieurs grains de sable : il faut parfois peu pour déséquilibrer le subtil équilibre d’un spectacle. Mais dès le lendemain, grâce au professionnalisme de tous les membres de la troupe, chacun retrouve ses marques et nous finissons l’année sur notre belle lancée.

2011 : En ce début d’année, résumons : Benoit est jeune papa d’une petite fille, Dom et Myriam attendent un garçon, Tibo tout court et Caro une fille, Laura et Mark des jumeaux (un garçon et une fille).

À Amiens et Rueil-Malmaison, nous travaillons au remplacement de Laura par 2 artistes : Babé pour les équilibres et Osmar pour le "trampo-pétales", créations de Laura.
Nous décidons, après discussion, de jouer à l’Arena de Genève, une très (trop ?) grande salle. C’est notre retour chez nos voisins après 20 ans d’absence !

Bernard commence l’écriture de "Tempus fugit", notre prochain spectacle, autour de la mémoire, de la transmission, du temps qui passe. Nous reprendrons des éléments de notre répertoire avec la jeune génération d’artistes qui se les réappropriera, ainsi qu’un travail de variation autour des musiques de Robert. "A force de passer, le temps commence à envisager de nous faire plus vieux", disait-il à propos de "Plic Ploc".
C’est la période… Nos cinquantaines bien entamées, nous initions une réflexion sur l’avenir de la compagnie.

La tournée continue en France jusqu’à l’été. Tout se passe pour le mieux et c’est chouette.
Eté : vacances pour tout le monde !
Septembre : faute de salle pour répéter, nous sommes toujours à la rue. Le directeur du Théâtre de l’Espace - scène nationale de Besançon - nous prête sa grande scène 3 semaines avant le début de sa saison. Nous y travaillons les premières intuitions de "Tempus fugit".

À l’automne, nous présentons à nos partenaires institutionnels une installation de nos chapiteaux à Besançon pour 18 mois, projet réunissant un cabaret, des rencontres, des accueils de troupes, et 2 créations. Le tout en préfiguration d’une installation plus pérenne sur notre ville.
Mais ce énième projet, pourtant reçu avec enthousiasme, échoue une fois de plus par manque de financement.

Nous jouons la fin de l’année à Lyon pour 35 000 personnes, au Grand parc de Miribel Jonage, lieu non desservi par les transports en commun en hiver. Les spectateurs sont quand même tous venus. Merci, notre public.
Enthousiasmés par ce beau succès, les membres de la troupe proposent de prolonger la tournée au-delà du terme prévu l’été prochain à São Paulo : accepté à l’unanimité !

2012 : Pour la prolongation de tournée, Dominique reprend donc son téléphone : après quelques pistes qui n’aboutissent pas, nous décidons de retourner à Paris en octobre, novembre et décembre, sur l’Ile Seguin avec Cirque en Chantier, la structure de Madona Bouglione.
Cette année s’annonce difficile.

En janvier, nous reprenons la recherche pour "Tempus fugit ?" (l’expression latine s’est enrichie d’un point d’interrogation qui ouvre l’imaginaire). Moments riches et sympas. Nous travaillons sur les objets sonores et musicaux.
Durant cette période, Robert compose 3 nouveaux morceaux. Il est très présent et créatif…
Bernard se lance dans un atelier de fabrication avec Yan le jongleur/bricoleur (c’est lui qui avait fabriqué les métronomes de "Plic Ploc") : idées, maquettes, carton, bouteilles et bouts de ficelle… La scénographie se dessine.

En ce début d’année, Bernard publie parallèlement un petit ouvrage : "L’atelier du peintre Charles Belle", atelier dans lequel il passa du temps de réflexions, de paroles et d’amitié pendant la préparation du spectacle "L’atelier du peintre". Editions Virgile, collection "Carnets d’Ateliers".

Le jeudi 1er mars 2012, Robert Miny met fin à ses jours.
Le Cirque Plume est orphelin de son compositeur.

Nous devons prendre le temps de la tristesse. La perte, le deuil, le soutien des amis et des spectateurs, le chagrin, la colère aussi.
À la Grainerie à Balma (agglomération toulousaine), nous jouons dès la semaine suivante de beaux spectacles habités : nous dédions la première à Robert ainsi qu’à Isa, une des fondatrices de la Grainerie disparue la même semaine.

Et nous décidons de poursuivre l’aventure du Cirque Plume avec une création sur le temps et la transmission. Spectacle que nous voulons de fête et de joie.
À la demande de Bernard, Benoît (remplaçant de Robert depuis la tournée de "Plic Ploc") en reprend la direction musicale, les arrangements et la composition.

Nous continuons en théâtre le travail de recherche de "Tempus fugit ?" au début de l’automne 2012, parallèlement à la fin de tournée de "L’atelier du peintre" qui se révèle financièrement difficile (voir plus bas), malgré l’enthousiasme de notre public et une fréquentation moyenne de 90 %.
Après un passage par le Brésil en été, nous terminons cette tournée sur l’Ile Seguin.
"L’atelier du peintre" aura été joué au total 346 fois devant 319 846 spectateurs.

Au niveau financier, 2012 se révèle donc être aussi une année éprouvante : nous avons en effet dû utiliser pour notre fonctionnement (le Cirque Plume est subventionné seulement à hauteur de 15%) les 3/4 de la somme provisionnée les premières années de tournée de "L’atelier du peintre", somme qui devait nous servir à financer la création suivante...
Après bientôt 30 ans de succès, il suffit donc d’une seule année délicate pour se retrouver en difficulté.


Chapitre 5
2013 - 2016


Affiche du spectacle Tempus fugit ? une ballade sur le chemin perdu {JPEG}2013 : année de création de "Tempus Fugit ? une ballade sur le chemin perdu".

Nous approchons de nos 30 ans d’existence… Ce nouveau spectacle parle du temps qui a passé et de la façon dont nous transmettons notre univers à une jeune génération d’artistes qui, pour certains, n’étaient pas nés au début de notre aventure….

Le titre s’est allongé : sa deuxième partie est inspirée par un terme d’horlogerie, le "chemin perdu" étant l’espace compris entre le tic et le tac du mouvement d’une horloge comtoise, le tic et le tac que les horlogers nomment également "le repos et la chute". Et nous y sommes, le cirque est précisément ce moment d’éternité situé entre le repos et la chute ! Pour les circassiens franc-comtois que nous sommes, la révélation de cette convergence miraculeuse, au moment même de la création d’un spectacle sur le temps qui passe, a quelque chose d’enthousiasmant !

C’est justement dans la capitale de l’horlogerie, "chez nous" à Besançon, que nous montons notre chapiteau en février, sur un terrain défriché par la Ville situé entre la Citadelle et le Doubs, pour presque 3 mois de répétitions.
Mais cette dernière phase de la création de "Tempus Fugit ? une ballade sur le chemin perdu" ne fut pas de tout repos…

En raison des difficultés de l’année 2012, 400 000 euros nous font défaut au moment de réaliser cette création. En même temps que nous demandons une aide exceptionnelle auprès du Ministère de la Culture, nous décidons de créer ce spectacle avec la ferme intention, malgré ce manque de financement, de ne pas faire de concessions artistiques.

Cette période de création commence quasiment le jour anniversaire de la disparition de Robert. Nous sommes dans la peine. La présence de l’absence hante le chapiteau.
Bernard vit dans le cauchemar de diriger un spectacle amputé d’une partie de lui-même, morte avec Robert.
30 ans de complicité… puis une grande solitude.
Solitude. "Il n’y a qu’un tombeau, c’est le cœur d’un ami", écrivait Tacite.

Les périodes de recherche en théâtre de 2011 et 2012 ont été agréables et pour une grande partie efficaces : une cinquantaine de minutes de ce nouveau spectacle existe déjà quasiment (la partie du milieu n’a finalement pas changé).
Mais quand nous nous retrouvons au mois de mars sous notre chapiteau, dans ces conditions si particulières, la rencontre artistique entre anciens et nouveaux ne va pas de soi... Nous nous cherchons, nous cherchons à comprendre nos différences.
Cyril, l’inoubliable acrobate polymorphe de "No Animo Mas Anima", nous rend visite quelques jours pour un "stage d’animalité" avec nos nouveaux artistes.

Malgré cette période d’acclimatation, Bernard se sent toujours bloqué. Il parle alors à la troupe de sa difficulté à travailler "comme avant" alors que les choses sont devenues si différentes pour lui. Il demande à tous de l’aider pour passer ce cap douloureux.
Chaque membre de la troupe empoigne alors les rames. Yan Bernard fut particulièrement efficace en son rôle d’assistant et plus encore. L’équipe technique, à la manœuvre, tient le navire par ces temps orageux.
Ensemble, le groupe assure, se soude, se rencontre.
En ce qui concerne la musique, le travail avance formidablement. Dans un contexte difficile, Benoit assure parfaitement la transition.
Donc beaucoup de travail. Mais aussi deuil, doutes, incertitudes, angoisses.

Au premier filage complet, nous réalisons que le spectacle demande une refonte importante. Nous en faisons l’analyse dans la nuit et la mettons en place dès le lendemain. Et dès le filage suivant, le poème du spectacle apparaît… Tout est là !
Nous sommes rassurés, mais le temps file… Il reste encore quelques modifications à faire, du grattage de moments trop longs (merci à Hervée De Lafond et Jacques Livchine, du Théâtre de l’Unité, pour leur regard bienveillant et sans concessions, précieux en ces moments de doutes)… Avons-nous le temps d’être prêts ? Nous le savons lors de la répétition générale en public, devant un gradin de 900 personnes proches de la compagnie : le spectacle s’envole et est accueilli très chaleureusement.
"Totalement Plume", nous dit-on.

Le 18 mai, la première bisontine nous rassure. Les programmateurs, qui viennent découvrir notre nouvelle création au cours des 20 représentations à guichet fermé qui suivront, nous parlent d’un "bon cru".
Nous enchainons sur 31 soirées (également à guichet fermé) au festival des Nuits de Fourvière, avec une superbe première lyonnaise.
Le renouveau est porté par les nouveaux artistes. La magie a encore une fois fonctionné.
Mais quelle épreuve, ce passage !
Ce spectacle porte toutes les émotions de sa création particulière. Le poème est bien là, dans la sensibilité de chacun et de tous.

Nous prenons la route avec "Tempus fugit ?" pour une tournée essentiellement française de plus de 300 dates déjà assurées, retrouvant avec plaisir notre public dans toutes ces villes où des programmateurs fidèles (parfois depuis plusieurs décennies) nous font confiance avant même que le spectacle n’existe (à Caen, Roubaix, Voiron et La Rochelle entre octobre et décembre).
Cette nouvelle tournée démarre alors que la compagnie souffle ses 30 bougies au mois de décembre 2013.
30 années… déjà ? Tempus fugit …


2014 : La tournée de "Tempus Fugit ? une ballade sur le chemin perdu" nous fait voyager, sous notre chapiteau comme dans les théâtres, d’Amiens à Epinal, en passant par Cergy-Pontoise et Rezé-les-Nantes.

Au début de l’été, la vie culturelle française est à nouveau marquée par une agitation sociale fortement médiatisée autour de la réforme de l’intermittence du spectacle, le statut qui permet aux artistes et techniciens d’exercer en France leur métier dans de bonnes conditions.
Nous sommes programmés fin juin au festival "Le Printemps de comédiens" de Montpellier, un des tous premiers de la saison d’été, qui se trouve être le centre de la contestation. Des techniciens du festival en grève empêchent les représentations des spectacles programmés.
Tout en affirmant notre opposition à la réforme, nous confirmons notre intention de jouer (rater une rencontre avec le public est toujours pour nous un échec de l’acte créatif).
Mais plusieurs des artistes et techniciens de notre troupe se positionnent finalement comme grévistes quelques jours avant les dates prévues. Contrat de facto annulé.
Une première pour le Cirque Plume… un pareil empêchement de jouer l’année de la création du spectacle -moment de fragilité accrue- aurait été beaucoup plus difficile à traverser.

Parallèlement à ces évènements, Brigitte et Molly doivent être remplacées en raison de problèmes physiques. Les remplacements d’artistes en cours de tournée sont toujours des moments sensibles à gérer… mais les remplacements se passent bien, le spectacle artistiquement est au mieux.

Après avoir joué à Heerlen (NL) à la fin de l’été, nous établissons notre campement sur l’Espace chapiteaux du Parc de la Villette pour un automne fort de 66 représentations parisiennes.
Cette présence dans la capitale est l’occasion de mettre l’accent sur nos 30 ans de création : une bâche extérieure longue de 25 mètres et une exposition mise en espace par Bernard est présentée sous notre chapiteau bar-accueil.
Cet anniversaire est également l’occasion d’éditer l’"Abécédaire du Cirque Plume", recueil de textes de Bernard écrits tout au cours de ces 30 ans, accompagnés d’une centaine de photographies.
Nous nous sentons rassurés : la troupe, artistes "jeunes" et "historiques" confondus, est soudée par une belle dynamique, confortée par le succès public, critique et commercial de ce spectacle pourtant enfanté dans la douleur.
Après une période difficile, la tournée de "Tempus fugit ?" marque le retour à un fonctionnement serein de notre compagnie.


2015  : une belle année de tournée. Nous jouons essentiellement en France, avec des partenaires programmateurs de longue date (à Saint-Quentin-en-Yvelines, Le Havre, Blagnac, Rueil-Malmaison, Elbeuf, Belfort, Chalon-sur- Saône, Clermont-Ferrand), mais aussi avec plusieurs acteurs culturels qui ne nous avaient jamais programmés auparavant (à Brest, Auch, Marseille, Perpignan).

L’été est l’occasion de retourner jouer à São Paulo (BR), la seule escapade extra-européenne de "Tempus fugit ?". Contrairement à nos années 90, nous jouons désormais beaucoup moins à l’étranger.
En tout début de juillet, Bernard reçoit des mains du Préfet de Franche-Comté les insignes d’Officier des Arts et lettres. Toute la compagnie s’en réjouit avec lui ! Sous les dorures du salon de la préfecture, Bernard profite de cette belle occasion pour évoquer la mémoire de son grand-père immigré polonais, en souhaitant qu’en ces temps de crise "dite migratoire", notre pays reste une terre d’accueil pour ceux dont la descendance recevra peut-être un jour des honneurs et des médailles de la part de la République.
2015 est également l’année de l’écriture et des premières recherches de notre 11ème création, le prochain spectacle du Cirque Plume, déjà titré "La dernière saison". Prochain et dernier, puisque nous avons décidé de mettre fin à notre aventure artistique, humaine et entrepreneuriale au terme de cette future dernière saison.
Mais nous n’en sommes pas encore là ! La création est prévue pour 2017, et nous avons devant nous 2 années pour la préparer sereinement.
Dès janvier, nous publions une annonce pour recruter la future équipe artistique : 470 candidatures reçues (dont 39 d’artistes français et 431 de 28 autres nationalités), auditions sous notre chapiteau en cours de tournée… Au terme de ce processus, 6 nouveaux artistes sont recruté-e-s, auquel-le-s viennent s’ajouter 2 "anciens".
Autour de Bernard, l’équipe de création est mise en place. L’écriture et la direction musicale sont confiées à Grégoire Gensse (qui fait déjà partie de la troupe de "Tempus fugit ?" comme musicien).
En décembre, nous travaillons des éléments scénographiques sur le plateau du Théâtre de l’Espace de la Scène nationale de Besançon. Bernard est vraiment content de ces premières idées mises en œuvre.
Les fondations nous semblent solides et laissent déjà paraître un projet enthousiasmant…
Pendant le même temps, nos administratifs ne chôment pas : le monde change, les moyens de communiquer avec notre public aussi. Notre vitrine sur Internet cirqueplume.com faire peau neuve, afin de s’adapter aux nouveaux usages numériques.
Ça en vaut le coup : depuis 2002 (année de mise en ligne de la version précédente), notre site a cumulé 4 000 000 (4 millions) de visites.

Pour clore 2015, c’est en cette toute fin d’année que le Ministère de la Culture et de la Communication crée un nouveau statut, dit de "compagnie nationale", dont l’objectif est de soutenir les compagnies de rang international qui ne dirigent pas d’institution. Le Cirque Plume fait partie de la soixantaine de structures ainsi labellisées.
L’information nous est communiquée le 30 décembre… belle fin d’année ! Nous accueillons avec joie cette nouvelle, comme une reconnaissance de notre travail et de notre place dans le paysage du spectacle vivant.

Au réveillon, nous récapitulons : super tournée de "Tempus fugit ?", préparation enthousiasmante de "La dernière saison", labellisation nationale, ... tous nos voyants semblent au vert. Champagne pour tous !


2016  : Nous attaquons l’année en forme, entre les dates de fin de la tournée de "Tempus fugit ?" (en France et en Belgique) et la préparation d’une longue période de recherche préparatoire pour "La dernière saison". Tourner un spectacle qui remporte un beau succès et travailler en parallèle une nouvelle création, processus que nous vivons tous les 4 ans, nous donne une belle énergie.

En mars, nous profitons ainsi des représentations de "Tempus fugit ?" prévues en avril à Illkirch-Graffenstaden (banlieue de Strasbourg), pour y installer 1 mois plus tôt notre chapiteau. Cette première longue période de recherche est l’occasion pour les membres de la troupe, anciens et nouveaux, de tous se rencontrer pour la première fois et de commencer à travailler ensemble.

C’est effectivement ce qui se passe au cours des 4 premiers jours : esprit de troupe immédiat, énergie créative au plus haut niveau, temps et moyens pour travailler sereinement… tout ce que nous avons mis en place fonctionne à merveille.
Mais cette dynamique se rompt au soir du jeudi 31 mars, avec le suicide de Grégoire Gensse, compositeur choisi par Bernard pour la direction particulièrement musicale de "La dernière saison". Grégoire est décédé le 24 avril après plusieurs semaines de coma.
La semaine précédente, Grégoire avait dirigé une semaine de travail avec les musiciens de "La dernière saison", dans un studio mis gracieusement à notre disposition par La Rodia (S.M.A.C. de Besançon). Le projet musical commençait à prendre forme, rien ne laissait prévoir une telle catastrophe…

Ce tragique évènement met évidement un terme immédiat au mois de travail de recherche prévu à Illkirch.
Mais après une courte phase de sidération et malgré la douleur, la totalité de notre équipe prend très vite la décision de s’accrocher au-delà de la tragédie : continuer à jouer en assurant les représentations d’Illkirch et la suite de la tournée.
Et surtout poursuivre le projet artistique en construction de "La dernière saison".

C’est ainsi qu’en juin, nous investissons de nouveau le plateau du théâtre de l’Espace pendant 2 semaines pour de nouveaux essais de scénographie.

Parallèlement, Benoit, déjà directeur musical et compositeur des musiques de "Tempus fugit ?", accepte de reprendre cette même place pour "La dernière saison".

Mais au-delà des compositions musicales proprement dites, la disparition de Grégoire modifie profondément le projet artistique initialement élaboré par Bernard. Les mois qui suivent sont donc un temps nécessaire à la restructuration de notre future création.

Au début du mois de septembre, nous montons nos chapiteaux à Besançon pour 10 mois.
D’abord pour une ultime série de représentations qui clôture la tournée de "Tempus Fugit ? une ballade sur le chemin perdu" là où elle avait commencé en mai 2013.
Au total, ce spectacle a été joué 377 fois pour un total de 364 711 spectateurs (97% de remplissage).
Puis pour enchainer jusqu’à mi-décembre 9 semaines de recherches artistique et scénographique pour "La dernière saison".

Mais 2016 frappe doublement le Cirque Plume, avec l’annonce au printemps du cancer d’Alain Mallet, artiste et musicien entré au sein de la troupe en 1989. Le public se souvient de "Jimmy", le guitariste électrique trampoliniste de "Mélanges (opéra plume)", ou du violoniste volant de "Tempus fugit ?"… Notre vieux compagnon s’est battu tout au long de cette année. Il nous a quitté le 14 décembre. Notre fin d’année est marquée par la tristesse.


Chapitre 6
2017 - 2020


Affiche du spectacle La dernière saison {JPEG}2017  : année de création de "La dernière saison"
Après un break de 2 mois pendant l’hiver (au cours duquel nous prêtons notre chapiteau à des amitiés artistiques, le chanteur Aldebert et la compagnie acrobatique XY), nous engageons dès février le travail de création proprement dit de "La dernière saison".
La dernière ligne droite… même si nous savons qu’une création suivie d’une tournée de plusieurs années est forcément une route pleine de virages. Spectacle vivant oblige !
Au cours de cette période créative, la distribution est modifiée plusieurs fois, jusqu’à quelques jours de l’avant-première… La troupe passe finalement de 13 artistes pour "Tempus Fugit ? une ballade sur le chemin perdu" à 14 pour "La dernière saison", mixant anciens, revenants, derniers arrivants et nouveaux (de plusieurs nationalités : argentine, américaine, espagnole et française).

C’est au terme de 36 semaines de travail collectif (sur 3 années) que "La dernière saison", 11ème et dernier opus de l’histoire artistique du Cirque Plume, voit le jour le 19 mai 2017 à Besançon.
Un spectacle autour des saisons, des éléments naturels, du mystère de la forêt, de l’invasion du plastique aussi… De la joie par-dessus tout, pour un "au revoir" sans nostalgie à partager avec notre public. Un public qui répond présent de manière incroyable ! Les 20 000 billets des premières bisontines sont vendus en 10 jours plus de 3 mois avant la première représentation. Et dans toutes les villes où nous jouons pour cette ultime tournée, nous vérifions ce même phénomène, ce même engouement… Nous prévoyons déjà que "La dernière saison" sera pour notre compagnie le spectacle joué le plus grand nombre de représentations devant le plus grand nombre de spectateurs.

Comme pour "Tempus Fugit ? une ballade sur le chemin perdu", nous enchainons immédiatement avec une longue série de 30 représentations au festival des "Nuits de Fourvière". Au tout début du mois d’août, nous avons déjà joué ce spectacle plus de 50 fois.
Ce spectacle démarre donc sur les chapeaux de roue et l’accueil critique est excellent. Mais… nous avons "trop bien" communiqué sur le fait que nous allions définitivement arrêter notre longue aventure artistique au terme de cette tournée. Alors les journalistes, comme le public, ne nous questionnent quasiment que sur ce seul sujet : "Mais pourquoi arrêtez-vous ?". Une seule réponse… "Parce que l’âge avance, que la finitude fait partie de la Vie, parce qu’il faut savoir s’arrêter au bon moment, et que le meilleur moment, c’est celui que nous choisissons". Nous avons le luxe de pouvoir clore une magnifique aventure artistique de plus de 36 ans alors que tout nous sourit. N’est-ce pas la plus belle des façons ?
Et les multiples témoignages sensibles et affectueux que nous recevons quotidiennement à ce sujet nous vont droit au cœur. Merci à notre chaleureux public !

Premier virage serré dès la rentrée de septembre, avec la blessure au genou d’un de nos nouveaux artistes. Les 2 mois de tournée qui suivent, avec plusieurs remplaçants différents, fragilisent temporairement le spectacle. Vivant.

C’est pendant ce début de tournée que l’album des musiques du spectacle est enregistré entièrement en "live". L’enregistrement en public est toujours un exercice périlleux… relevé haut-la main par notre orchestre de musiciens aguerris !

Après un début de tournée sous notre chapiteau, la 2ème partie de l’année renoue avec les théâtres : Amiens, Roubaix, Le Havre… et la Rochelle, où nous terminons l’année 2017 dans la salle toute rénovée de nos amis de La Coursive. Belle fidélité entre une structure culturelle programmatrice et une compagnie, puisque nous y avons joué absolument tous nos spectacles depuis 1992.


2018  : Après 16 représentations au Théâtre de Caen (avec un succès tel que nous prenons déjà date pour y retourner en 2020, soit un total prévisible de 30 000 spectateurs pour "La dernière saison" dans cette même ville !), nous retrouvons avec bonheur le ventre rond de notre cher chapiteau jaune, à Rezé les Nantes puis à Épinal.

L’artiste blessé reprend la tournée dès le début de l’année, mais quitte finalement la troupe au cours de ce premier semestre. Bernard décide de le remplacer par 2 acrobates-danseurs, afin de doper le spectacle avec une personne supplémentaire sur scène. La troupe de "La dernière saison" passe donc de 14 à 15. Nous retrouvons ainsi un nombre d’artistes sur scène que nous n’avions plus depuis 1995 (ces 20 dernières années, nous avions fait le choix, à la fois artistique et économique, de 12 ou 13 artistes pour chacune de nos créations).

Commencées en 2017 dès le début de la tournée, nous achevons en ce tout début d’année 2018 les productions parallèles de l’album des musiques et du double DVD de notre "dernière saison". Les ultimes supports audios et vidéos de notre aventure… Nous n’en avons pas fini avec nos "dernières fois" ! Mais chacune est vécue par chacun de nous avec une émotion toute particulière…
Ce double DVD rejoint la collection "Notre histoire", clôturant ainsi la somme vidéo de toute nos créations. Nous marquons l’occasion en présentant la totalité de ces galettes dans un coffret "collector" spécialement créé pour l’occasion (en interne, comme d’habitude pour ce qui concerne notre communication). Nous posons ce coffret sur la table… 35 ans de notre création artistique captés et enfermés dans un petit parallélépipède couleur palissade avec, trônant sur sa face avant, "l’ombre du nez", emblématique signature artistique du Cirque Plume.

En septembre, après une période de répétitions nécessaire à l’intégration au sein de la troupe de 3 artistes (les 2 nouveaux acrobates-danseurs et une remplaçante pour raison de maternité), nous attaquons une longue série de 64 représentations parisiennes qui va se dérouler tout le dernier trimestre. Notre "dernière saison" passe l’automne à Paris… Nous montons nos installations (encore une de nos dernières fois...) sur cet Espace chapiteaux de La Villette, à l’endroit même où nous avions dû nous imposer en 1991, contre l’administration de La Villette de l’époque ! Non seulement nous étions la 1ère compagnie de cirque à vouloir y jouer, mais y accueillir un chapiteau (salle de spectacle nomade, donc par définition peu fréquentable…), n’était pas prévu : les architectes avaient déclaré que notre chapiteau briserait l’harmonie du lieu !
Depuis, les choses ont bien changé : l’Espace chapiteaux est le lieu institutionnel d’accueil de cirques contemporains le plus important à Paris, et c’est un vrai partenariat de 25 ans que nous partageons avec cette importante institution culturelle. Depuis 1991, Pierre a calculé que nous y avons passé presque 2 années cumulées !
Merci à La Villette, qui nous a permis de présenter nos différentes créations au public parisien pendant toutes ces années dans d’excellentes conditions.

Nous terminons donc 2018 à Paris. Avec ses 121 dates, cette année est, pour notre compagnie, la plus chargée en représentations depuis au moins 2 décennies.
Dans toutes les villes où nous jouons "La dernière saison", chacune des représentations fait 100% de remplissage, toujours "sold out", parfois plusieurs mois à l’avance.
Belle tournée !


2019  : Après une année 2018 intense, la troupe peut enfin souffler en ce mois de janvier 2019… et repart dès février pour une tournée de 99 dates, essentiellement avec des structures culturelles partenaires régulières (à Blagnac, Brest, Chalon sur Saône, Saint Quentin en Yvelines, Clermont-Ferrand), mais également dans des villes où nous n’avions encore jamais joué (Lieux Saint, Louvain la Neuve en Belgique) ou plus joué depuis longtemps (Chambéry). Jusqu’au bout, nous aurons eu de nouveaux partenaires. Merci à toutes ces structures culturelles qui nous ont permis de diffuser nos spectacles, de nos débuts jusqu’aujourd’hui.

C’est aussi en ce début d’année que 2 de nos artistes confirment leur désir d’aller s’épanouir sous d’autres cieux artistiques : avec des carrières relativement courtes en raison de l’implication physique qu’elles exigent, 4 ans de tournée intense avec le même spectacle peuvent paraitre longs …
Nous voilà donc de nouveau en recherche d’artistes, de niveau international et rapidement disponibles, cela va de soi ! Et pour presque 2 années de fin de tournée … cela semble presque impossible, mais il faut croire qu’une fée continue à veiller sur le Cirque Plume, car grâce à l’activation de notre réseau circassien, ce sont 2 artistes exceptionnelles que nous allons accueillir. Elles font même le choix d’abandonner d’autres projets en cours pour rejoindre notre troupe. Cela nous touche.

Nous répétons avec la première de ces artistes en juin à Chambéry, où son numéro d’anneau aérien et sa reprise du personnage de l’elfe sylvestre font merveilles dès ses premières apparitions en public. Cette artiste s’est naturellement imposée dès son audition et sa grâce en spectacle nous confirme la justesse de ce choix….

Par contre, le choix de la seconde artiste ne va pas soi au moment de prendre la décision, car c’est une danseuse qui nous fait une proposition totalement différente pour remplacer le numéro de contorsion comique qui habitait avec force une partie du spectacle depuis sa création. Il y a un vif débat au sein de la troupe… Mais Bernard fait ce choix artistique qui finalement apporte une nouvelle dimension à "La dernière saison". En septembre à Châlons-sur-Saône, nous travaillons sur ce que nous appellerons très vite "La fleur", une danse hypnotique pour laquelle Nadia réalise une robe "pétales" et Benoit compose un nouveau morceau à l’unisson (voir la vidéo).

Ouf, changements d’artistes réussis ! Les représentations de l’automne 2019 confirment la justesse de cette nouvelle mouture du spectacle. Pour le public avant tout, mais aussi pour la troupe, qui après une période d’insécurité se trouve revitalisée par ce sang neuf.

En parallèle de la tournée 2019, nous préparons activement l’année 2020, si importante car c’est notre dernière, l’ultime, que nous voulons exceptionnelle, festive, inoubliable.
En collaboration avec l’équipe de la Saline royale d’Arc-et-Senans (25), plusieurs évènements se préparent pour l’année prochaine sous le commissariat de Bernard, dont une grande exposition qui plonge dans la mémoire des 37 ans de notre compagnie : titrée "Le Cirque plume, l’éternité du saut périlleux", cette exposition est à l’échelle de notre longue histoire, mais aussi d’un espace que l’on peut qualifier de monumental, puisqu’elle doit prendre place dans l’immense "berne ouest" de la Saline royale d’Arc-et-Senans. Remplir cette immense "cathédrale" est un véritable défi scénographique. Bernard plonge dans nos archives photographiques (près de 30 000 images, que nous avons intégralement répertoriées grâce à un travail de fourmis de plusieurs années) pour donner forme à ce qu’il considère comme sa "dernière création Cirque Plume".

Nous gardons en ligne de mire l’après 2020, cette période de la fermeture de notre entreprise que nous devons largement anticiper. Cela recouvre beaucoup de champs différents, le "matos" n’étant pas le plus simple à appréhender ! Au-delà du matériel utilisé pour jouer notre spectacle actuellement en tournée (Chapiteau, décor, son, éclairage, machinerie, etc…), nous avons emmagasiné, au fil des décennies, des tonnes (au sens littéral) de matériel parfois imposant, parfois tenant d’un incroyable bric à brac… dont nous devons commencer à nous débarrasser dès maintenant si nous voulons avoir vidé nos entrepôts quand nous clorons définitivement notre aventure. Jean-Marie, secondé par Jean-Phi, commence à trier, répertorier, lister, mettre en vente ou jeter…
Nous savons que le plus difficile est de vendre notre chapiteau : certes, c’est un magnifique théâtre de toile, que nous avons conçu spécifiquement pour répondre à nos besoins, adapté au grand nombre de spectateurs que nous accueillons pour de grandes séries de représentations dans une même ville. Pour le Cirque Plume, il est parfait. Mais il est énorme, imposant, lourd à transporter et à monter… une aberration économique et logistique, comme nous le définissons parfois !
A quelle structure culturelle pourrait-il servir après nous ? Aucune compagnie de cirque travaillant "en frontal" (notre gradin est face à la scène, comme dans un théâtre) n’a un "volume" équivalent au notre. Nous avons idée qu’il pourrait servir à un théâtre en réfection ayant besoin d’une structure temporaire pendant les années que durent ce type de de travaux. Alors nous prospectons dans ce sens.
Nous avons de nombreux contacts intéressés, plusieurs visites sous notre chapiteau, mais … aucun dossier qui n’aboutisse pour l’instant. Et les mois passent vite ….

Décembre 2019. Après 3 jours de répétitions pour remplacer notre fildefériste qui a besoin de faire un break, nous terminons l’année par une série de 12 représentations dans l’immense théâtre de la Comédie de Clermont-Ferrand. Le spectacle revisité (avec 3 nouveaux artistes) tourne vraiment bien, c’est la grande forme.

A nous, 2020 !


2020  : Ça y est ! Nous y sommes enfin, à l’orée de cette année décidée il y a maintenant 5 ans (en 2015, voir plus haut !) comme étant celle de la fin de notre histoire.
Avec 108 représentations, dont 50 en autoproduction en Franche-Comté (chez nous !), c’est une fin de tournée encore bien dense qui s’annonce. Tous les membres de l’équipe, les voyageurs comme les sédentaires, sont en énergie pour ce round final.

Ce millésime exceptionnel pour le Cirque Plume, c’est également le partenariat mis en place, depuis presque 2 ans, avec la Saline royale d’Arc-et-Senans : titré "L’année du cirque à la Saline royale" (ou "Le cirque, c’est la nostalgie du paradis", d’après la phrase fétiche de Bernard), cet événement se déroulera tout au long de 2020 avec, pour ce qui nous concerne, 3 grands projets qui seront autant de rendez-vous avec notre public.
Il y aura 2 expositions, dont Bernard est le commissaire, sur lesquelles nous travaillons depuis l’année dernière :

- "Le Cirque Plume ou l’éternité du saut périlleux", une monumentale exposition "mémoire". Pendant des mois, Bernard a passé (et repassé…) en revue nos 30 000 photographies d’archives pour finalement en sélectionner 300, mises en forme et en espace par affinités picturales pour être imprimées en très grands formats (des panneaux d’une moyenne de 12 m² qui remplissent sur plusieurs niveaux l’immense espace de la grande berne de la Saline conçue par l’architecte du XVIIème siècle Claude Nicolas Ledoux).
Pour compléter cet ensemble photographique, Bernard prévoit un mur de costumes, des installations permettant d’écouter les musiques de nos différentes créations, ainsi que des dispositifs scéniques emblématiques de nos spectacles, tel le Pendulum qui animait si magiquement le final de "Tempus fugit ?" et plusieurs jonglages d’eau de "Plic Ploc" reproduits par des automates.

- Une 2eme exposition titrée "Destins de cirque", où Bernard rend hommage à une sélection subjective d’artistes circassiens (femmes et hommes) qui ont poétisé et fasciné le monde depuis 1768. Pour scénographier ces destins, il a accès à des pièces des collections exceptionnelles du Docteur Frère et du MUCEM de Marseille.

La 3eme facette de notre participation à cette année du cirque de la Saline royale est une série de 20 représentations de "La dernière saison" au mois d’août.
Si nous avions déjà présenté un de nos spectacles (No Animo Mas Anima) au sein d’un bâtiment de la saline à nos quasi débuts (1991), c’est un très vieux rêve que nous réalisons enfin cette fois ci : planter nos chapiteaux au sein même du demi-cercle de cet incroyable ensemble architectural inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et cher à nos cœurs de franc-comtois. Notre chapiteau devant l’emblématique Maison du Directeur… l’image a de la gueule et nous fait par avance frétiller d’excitation !
Pourtant, la cohabitation de notre troupe au sein d’un bâtiment historique visité par plusieurs milliers de personnes chaque jour ne va pas de soi. Elle se révèle compliquée à mettre en place, car nous sommes confrontés aux multiples contraintes et interdictions du lieu, alors que nos saltimbanques ont l’habitude de se sentir "chez eux" sous et autour de nos chapiteaux. De longues réunions en amont avec l’équipe de la Saline, dans un bel esprit d’écoute mutuelle, ont petit à petit permis de trouver des compromis pour tous les aspects de notre imposante présence, y compris les plus triviaux de la vie quotidienne.

2 expos et 20 représentations de notre spectacle : c’est donc une année de présence forte à la Saline, ce dont nous nous nous réjouissons particulièrement.

En janvier, nous débarquons à Marseille avec le soutien de l’Entre-Deux Biennale organisée par nos vieux amis d’Archaos. Quel plaisir de se tomber dans les bras après autant d’années, certes avec nos cheveux grisonnants, mais heureux de constater que notre énergie et notre amour du spectacle vivant sont restés intacts !
Nous retrouvons l’immense salle du Cepac-Silo et sa super équipe qui avaient déjà accueilli "Tempus fugit ?" en 2015. En 14 représentations, plus de 21 000 spectateurs marseillais acclament notre dernière saison.

En ce tout début d’année, les média commencent à parler d’une "mystérieuse pneumonie" venue de Chine qui arrive en Europe. Nous avons tous en mémoire l’épisode du H1N1 en 2009, qui avait fait beaucoup de bruits pour rien …
A Marseille, un de nos artistes apprend le jour de la dernière représentation que son père vient de décéder avec les symptômes de ce coronavirus qui prend de plus en plus de place aux infos.
Nous pressentons, comme tout le monde, que la mèche de la bombe commence à rougeoyer.
Le doute et l’incertitude commencent à s’immiscer dans nos esprits. Mais le lendemain de notre dernière représentation marseillaise, tous les membres de la troupe en se quittant veulent y croire : "On se retrouve à Caen le mois prochain !"
En fait, le compte à rebours a déjà commencé … Nous ne le savons pas encore, mais ce 9 février à Marseille, nous venons de jouer l’ultime représentation de toute l’histoire du Cirque Plume, la der des ders.
Nous avons encore 94 représentations que nous croyons gravées dans le marbre de notre calendrier de tournée, mais en réalité la troupe ne pourra plus jamais jouer devant du public.

Mais nous n’en sommes pas encore là…
En ce mois de février, l’urgence est à la réalisation des 2 expositions, dont les vernissages sont prévus fin juin. Le timing est de plus en plus serré, l’équipe de la Saline a quelques sueurs froides ! Nous calons ensemble un calendrier qui permet de tenir les délais, tout est lancé pour la phase de réalisation.

Les jours passent, la pandémie s’étend, le gouvernement commence à évoquer un confinement, mais rien n’est encore officiellement décrété quand nous partons le 9 mars installer notre matériel sur le plateau du théâtre de Caen. Le soir du jeudi 12, nous faisons notre traditionnel filage de veille de reprise avec la troupe au grand complet. Comme d’habitude.
Le lendemain, les musiciens font la balance musicale, comme toutes les matinées de première. Nous faisons encore "comme si"…
Mais à 14 h ce vendredi 13, alors que toute la troupe est en réunion, anxieuse et tendue, le directeur du théâtre nous informe : c’est officiel, les Etablissements Recevant du Public doivent fermer le jour même et la population se confiner à partir du mardi suivant.
C’était prévisible, mais le choc est rude ! Nous démontons notre spectacle la mort dans l’âme et tout le monde rentre chez soi se confiner.
Au bureau, c’est le branle-bas le combat. Comme toutes les entreprises, nous avons peu de temps pour organiser un télétravail qui puisse rester efficace. Chacun chez soi, accrochée aux ordinateurs et aux téléphones, une longue et difficile période commence alors pour notre équipe administrative …

Sans aucune visibilité sur l’avenir, nous dépensons pendant toute cette période notre énergie à faire et à défaire, à maintenir la compagnie debout dans un cafouillis de textes règlementaires distillés au compte-gouttes, parfois modifiés d’un jour à l’autre…
Au cours des mois qui se succèdent, dans l’incertitude la plus totale, nous sommes contraints d’annuler nos contrats les uns après les autres : après Caen, c’est au tour d’Illkirch-Graffenstaden, puis d’Elbeuf.
Quand le déconfinement arrive enfin en juin, nous ne savons toujours pas comment gérer la seconde partie de notre année, celle qui doit se dérouler entièrement chez nous, en Franche-Comté (au cours de laquelle nous avons prévu d’accueillir 50 000 spectateurs, soit plus que le Parc des Princes, comme nous nous amusons parfois à le dire).

Dans ce marasme général, un motif de satisfaction : l’exposition "Le Cirque Plume ou l’éternité du saut périlleux" est inaugurée le 20 juin comme prévu. Plus de 400 personnes portant des masques sanitaires et se saluant à distance assistent à ce vernissage presque inespéré. L’exposition a été amputée de la possibilité d’écouter les musiques des spectacles (le dispositif prévu était incompatible avec les règles sanitaires toujours en vigueur) et des automates jongleurs d’eau (par manque de temps et de moyens financiers). Mais le pendulum, animé par son lanceur automatique, emplit majestueusement le centre de l’espace, et l’unicité de ce mobile renforce sa beauté hypnotique.

Par contre, la crise sanitaire a fait s’envoler la joie d’inaugurer les 2 expositions en même temps, comme cela était initialement prévu : nos partenaires n’ayant pas eu les moyens de nous fournir les pièces de leurs collections souhaitées pour cause de confinement, le vernissage de "Destins de cirque" est repoussé au 25 octobre (et restera ouverte 5 jours seulement juste avant ce qu’on a appelé le 2ème confinement. Elle restera visible jusqu’en 2022).

En ce qui concerne la tournée, il redevient possible, après le déconfinement, d’accueillir du public, mais avec une jauge réduite en raison des conditions sanitaires strictes à respecter : sur les 1 000 places de notre gradin, nous ne pourrions accueillir que 160 personnes (les structures de toiles ne bénéficiant pas de la réglementation appliquée au théâtre en dur). Une ambiance de tristesse dans notre gradin déserté et un gouffre financier assurés !
Mais le gouvernement laisse entrevoir un potentiel assouplissement de ces mesures. Sans dire lesquelles et quand… Toujours cette incertitude qui mine parce qu’elle empêche de prendre des décisions, alors même qu’il nous faut anticiper plusieurs mois à l’avance pour organiser de telles manifestations.
Nous décidons d’ouvrir la billetterie pour Arc-et-Senans et Besançon, pariant sur une possibilité de peut-être pouvoir jouer plutôt que d’annuler dès maintenant. S’accrocher à cet espoir, tout en sachant que l’énergie mise dans cette préparation (dans un climat anxiogène) est certainement vouée à être dépensée pour rien … Compliqué à gérer !

Malgré ce contexte incertain, nous vendons plus de 10 000 billets au cours du premier mois d’ouverture de la billetterie (merci Public !). Mais la date où nous devons monter le chapiteau au sein de la Saline approche et bien que nous ayons attendu le plus tard possible, rien ne change au niveau des conditions gouvernementales. Tristes et désabusés, nous sommes donc contraints d’annuler l’intégralité des représentations d’Arc-et-Senans. Et 20 de plus dans la poubelle de la crise sanitaire !
Nous sommes en juillet et seules restent inscrites à notre calendrier les 30 dernières représentations encore potentiellement possibles, celles prévues à Besançon, "notre" ville, celle où nous avons commencé il y a 37 ans et où nous sommes toujours restés installés (pour notre siège social et administratif). Besançon, c’est chez nous ! Ces ultimes représentations portent donc une valeur doublement symbolique.
Et puis nous savons que tous nos amis veulent être là pour nous dire au revoir dans la joie et fêter avec nous la fin de notre compagnie (le public aussi semble souhaiter nous dire symboliquement "au revoir" à sa façon : notre ultime date a immédiatement été "sold out" dès l’ouverture de la billetterie).
Ne pas jouer à Besançon, ne pas vraiment pouvoir terminer notre histoire, cela nous semble impensable.

La jauge peut remonter à 740 spectateurs. C’est trop peu, mais nous voulons y mettre toutes nos énergies, malgré la liste des exigences sanitaires toutes plus restrictives les unes que les autres : refonte totale des flux de spectateurs, modifications des entrées public dans le chapiteau pour permettre une plus longue file avec distanciation physique, fermeture totale de notre chapiteau "bar" (même pas la possibilité de boire un verre, absence totale de convivialité d’avant et surtout d’après spectacle…),… Malgré toutes ces conditions qui changent fondamentalement ce que nous souhaitons de l’esprit de fête de ces ultimes représentations, nous nous disons qu’il faut tout tenter pour pouvoir jouer.
Nous allons en Préfecture présenter notre nouveau dossier de conditions d’accueil, qui reçoit un avis favorable (au-delà de notre nouvelle organisation de gestion du public les soirs de représentations, le fait que nous puissions "tracer" les éventuelles personnes infectées grâce aux informations recueillies sur notre billetterie en ligne semble le plus important pour les autorités).

Les jours passent, mais loin de s’améliorer, la situation est au contraire de plus en plus incertaine.
La tension monte encore d’un cran, les dates de montage à Besançon approchent : il nous faut impérativement prendre une décision, la dernière, la plus importante pour nous au niveau symbolique.
Notre comité de direction entre en réunion les 15 et 16 septembre, 2 journées entière à échanger, construire et déconstruire les arguments, passer et repasser au crible toutes nos questions, analyser le favorable, le défavorable et le très défavorable. Finir par prendre une décision, puis en prendre une autre. Ne plus jamais jouer ou jouer quand même une dernière fois ? Certainement la réunion la plus difficile, la plus mouvementée, la plus émotionnelle de toute notre aventure.
Pour décider, au bout de ces 2 journées de remue-méninges, que nous ne jouerions pas à Besançon.

Le Cirque Plume ne jouera jamais plus.

La suite des évènements nous prouve que nous avons fait le seul bon choix possible : nous n’aurions de toute façon pas pu jouer en raison du 2ème confinement.
Au total, 94 représentations ont été annulées. 94 000 spectateurs privés de dernière saison.

Nous diffusons le 18 septembre un ultime communiqué de presse rédigé par Bernard ("Lettre ouverte d’un grand vaisseau qui part dans la nuit") qui fait grand bruit : par notre page Facebook, plus de 366 000 personnes ont été touchées.

Nous ressentons une immense tristesse que cette crise sanitaire nous ait privée de la joie de partager nos adieux avec notre public et nos amis.
Mais après ces longs mois d’enfer et d’incertitude qui nous ont tant mis à mal, pendant lesquels le réel semblait se dérober, ces mois à ne rien pouvoir maitriser, à ne rien pouvoir prévoir, à défaire tout ce que nous avions patiemment construit… au moins aujourd’hui nous avons le sentiment de nous réapproprier enfin notre présent. Et notre futur.

Notre futur, c’est fermer définitivement la SO.A.C.D., la société à l’enseigne du Cirque Plume. Pour clore administrativement notre aventure.
Liquider "proprement" une entreprise comme la nôtre est presque une aventure en soi. Cela va nous occuper encore environ 1 an.

Une première tâche importante, prévue de longue date, est de s’occuper de nos archives, selon les directives du Département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Après 4 mois à plein temps de tri et de sélection de nos documents, ce sont plusieurs centaines de boites renfermant toute notre histoire qui partent par camion scellé pour être répertoriées, scannées et stockées à la BnF. Cette masse d’information, trace de notre histoire, est ainsi maintenant à la disposition des étudiants et chercheurs éventuels.
Il en est de même de nos costumes : plusieurs dizaines de pièces rejoignent les collections du Centre national du costume de scène (CNCS) de Moulins (03).

Notre chapiteau n’ayant pas trouvé preneur, notre régisseur général décide finalement de l’acquérir (avec 5 associés), ainsi que tout le matériel qui lui est attaché. Jean-Philippe est la personne qui connait le mieux cette belle salle de spectacle itinérante. Notre bon vieux chap est entre de bonnes mains ! Nous sommes satisfaits et soulagés qu’il puisse continuer à accueillir des spectacles.

En cette fin d’année 2020, 2 distinctions récompensent et consolent Bernard (et le Cirque Plume à travers lui) :
- Le Grand Prix SACD 2020 (toutes disciplines confondues) "pour l’ensemble de sa carrière".
- Chevalier de la légion d’honneur au 1er janvier 2021.


2021 est l’année de la disparition de la compagnie Cirque Plume.

Elle est aussi l’année de la création par Bernard de "L’après Plume", une association dont l’objet est la gestion de l’héritage patrimonial du Cirque Plume pour les années à venir.

La compagnie n’existe plus, mais les lumières de son vaisseau continuent de briller dans la nuit.